Ma première erreur fatale ? Avoir consenti à naître le 3 février 1969 : neuf mois jour pour jour après le déclenchement de leur grand bazar. D’après ma mère, j’avais su conférer à mon entrée dans ce monde le caractère d’une commémoration historique : étant donné que j’étais prématuré de plus de trois semaines, elle put se féliciter que ma conscience politique innée m’eût poussé à faire le grand bond hors de son ventre avant terme. Mais je n’y étais pour rien, évidemment. Je la soupçonne d’avoir déclenché elle-même les contradictions qui, m’expulsant cette nuit-là de mon asile, m’ont transformé en incarnation vivante des rêves mort-nés de sa génération. Je ne me suis jamais vu en « enfant de 68 » comme disent stupidement les journalistes. Je me sentais plutôt fait pour être un rejeton désabusé de 70, un éléphanteau apolitique qui ne serait né qu’après vingt quatre mois de gestation et beaucoup de réticences. Trente six mois même. Soixante quatre. Je serais bien né en 73, tiens, rien que pour la faire chier. Ou pas né du tout.
Enfin, c’est ce que je crus pendant longtemps. Après un certain nombre d’aggiornamentos à peine amoureux, qui ressemblaient tous à un même faux départ, je finis par rencontrer Eva et, je ne sais trop comment, je me mis à lui faire des enfants. Le premier doit naître le mois prochain. Dans moins de quatre semaines, je deviendrai comme ma mère. J’imagine que j’aurais plutôt dû penser «comme mon père » mais je préfère ne pas approfondir.