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NOTRE-DAME ET LA FEMME QUI RIT

Samedi 20 avril 19

J’ai été ému de voir la cathédrale brûler mais, au bout d’à peine une semaine, ce déferlement d’émotion commence à pieusement me gaver. D’où mon rire à lire l’article de Renée Greusard dans Rue 89

J’en retiens ce tweet bien frappé de Ollivier Pourriol: « Victor Hugo remercie tous les généreux donateurs prêts à sauver Notre Dame et leur propose de faire la même chose avec les Misérables. »

Pan dans mes dents aussi!

LA « FORET » MODERNE DE NOTRE-DAME

Vendredi 19 avril 19

Comment reconstruire la « forêt » de Notre-Dame ?

Quel serait l’équivalent actuel de cette forêt de chênes séculaires, par lequel notre début de vingtième-et-unième siècle pourrait témoigner aux générations futures de nos capacités techniques mais aussi spirituelles ?

En sommes-nous seulement capables?

Cela va être intéressant à observer : pas seulement les solutions techniques, aussi le niveau de nos échanges.

« JE VEUX QUE NOTRE-DAME SOIT RECONSTRUITE DANS LES CINQ ANS »

Jeudi 18 avril 19

Si notre Président l’a dit, il n’y a plus qu’à s’exécuter.

Pourtant, le temps des cathédrales n’est-il pas précisément celui qui échappe au « je veux » individuel (fût-ce celui des puissants qui nous dirigent) ? N’invite-t-il pas à penser une œuvre si colossale qu’elle dépasse la simple génération humaine et oblige à se relier aux générations à venir dans la permanence d’un projet ?

A ne pas dire « je veux », ni « dans les cinq ans » mais « nous allons tous » et « en prenant autant de temps qu’il faudra » et « en choisissant la solution pérenne qui nous paraîtra la meilleure » et « en faisant modestement du mieux dont nous sommes capables ». Bref, le contraire de ce volontarisme politique qui ne cache souvent que l’aboulie politicienne.

Cette reconstruction de Notre-Dame ne pourrait-elle être une invitation à s’emparer, avec la même volonté modeste de travailler dans le long terme, des autres chantiers tout aussi urgents du monde actuel ?

NOTRE-DAME DES RICHES

Mardi 16 avril 19

Au petit matin, tandis que je me lève et que Trump en est déjà à son cinq-centième tweet d’une journée ordinaire, les pompiers ont réussi à préserver l’essentiel : les deux tours et la façade.

L’un des trésors les plus précieux de la cathédrale était invisible.

J’apprends que cette charpente était surnommée « la forêt » car chacune de ces innombrables poutres était faite d’un chêne séculaire. Elle a traversé huit siècles miraculeusement sans subir d’incendie et c’est cette nuit qu’en quelques heures elle brûle.

Pourquoi suis-je ému ? Ce ne sont que des troncs d’arbre, n’est-ce pas, ce n’est qu’un monument.

Mais cette cathédrale n’est-elle pas le symbole d’un monde, lui aussi familier, immense et fragile rempli de chênes et peuplé d’éléphants, que nous laissons crever ? Je me sens malheureux, impuissant et vaguement responsable à regarder partir en fumée l’image d’un monde que je n’ai pas su protéger.

Pourtant, je savais qu’il était précieux.

Je redoute que ce que je croyais éternel ne disparaisse en quelques heures, me laissant appauvri. Car le lien spirituel à un passé que nous pouvons dire nôtre est l’une des seules vraies richesses.

A propos de richesse, dès le lendemain de la catastrophe, on pense à donner pour reconstruire. Nos chers milliardaires font même assaut de générosité médiatique. Pinault donne 100 millions d’euros, LVMH 200 millions, la mairie de Paris 50 millions, et la région Ile de France 10 millions.

Ces montants claironnés, au lieu de me rassurer, m’exaspèrent. Tout notre début de 21ième siècle se dit dans le rapport entre ces quatre chiffres. Une société qui fonctionne bien ne devrait-elle pas fournir les données inverses : la puissance publique capable de mobiliser des centaines de millions d’euros et les fortunes privées quelques millions (ce qui serait déjà largement suffisant)?

Il manque un cinquième chiffre :  celui des dons de tous les anonymes comme moi. J’aimerais qu’ils soient tellement faramineux que nous n’ayons pas besoin de ces milliardaires qui s’approprient la reconstruction de nos symboles comme ils se sont appropriés le reste. Mais je sais bien que c’est le contraire : ce sont eux qui n’ont plus besoin de nous pour détruire et reconstruire le monde. Et ce depuis déjà des décennies.

NOTRE-DAME, TRUMP ET MOI

Lundi 15 mars 19

Un vieux fumeur nous montre de loin les grues du port du Havre et nous raconte le travail des dockers modernes qui déchargent en quelques heures 21 000 containers de monstres flottants de 400 mètres. Il se perd dans des détails techniques mais, en se perdant, il arrive presque à me faire ressentir ce monde ingrat qu’il a sûrement aimé.

Le soir nous regardons stupéfaits sur nos téléphones portables Notre-Dame en train de brûler.

J’ai spontanément envie de pleurer. Mais je me retiens : je ne suis pas sûr que je parviendrais à éteindre la cathédrale de mes larmes.

Pourtant, le président américain Donald Trump et moi nous refusons de nous résigner. Alors nous conseillons aux pompiers français de se bouger un peu les fesses et d’envoyer fissa les Canadairs ! Le président Trump et moi, nous sommes des pompiers tellement lamentables que, si l’on nous écoutait, on ferait s’écrouler l’ensemble de l’édifice que nous prétendions sauver. Le président Trump (et pas moi, heureusement) est censé être l’un des pompiers du monde en feu : il a des conseillers mais il ne les écoute jamais ; il préfère tweeter ses émotions, ça prend moins de temps.

Par bonheur, les pompiers français n’ont pas le temps de lire les tweets du président du monde ni les miens. Ils préfèrent analyser la situation. La tête froide, ils concluent que l’inestimable toiture n’est pas sauvable. Une dizaine rentre à l’intérieur, où personne ne les voit, ni Trump ni moi ni les autres cons dans notre genre. Ni même les badauds. Les soldats du feu luttent pour faire baisser la température et sauver les œuvres d’art. Puis il paraît qu’un drone  articulé de 500 kilos prend le relais. Je ne sais pas à quoi ressemble cette chose mais je me dis que ce Quasimodo de métal s’agitant dans la fournaise à notre place pour sauver des reliques aurait peut-être fait rêver Victor Hugo.