Mardi 16 avril 19
Au petit matin, tandis que je me lève et que Trump en est déjà à son cinq-centième tweet d’une journée ordinaire, les pompiers ont réussi à préserver l’essentiel : les deux tours et la façade.
L’un des trésors les plus précieux de la cathédrale était invisible.

J’apprends que cette charpente était surnommée « la forêt » car chacune de ces innombrables poutres était faite d’un chêne séculaire. Elle a traversé huit siècles miraculeusement sans subir d’incendie et c’est cette nuit qu’en quelques heures elle brûle.
Pourquoi suis-je ému ? Ce ne sont que des troncs d’arbre, n’est-ce pas, ce n’est qu’un monument.
Mais cette cathédrale n’est-elle pas le symbole d’un monde, lui aussi familier, immense et fragile rempli de chênes et peuplé d’éléphants, que nous laissons crever ? Je me sens malheureux, impuissant et vaguement responsable à regarder partir en fumée l’image d’un monde que je n’ai pas su protéger.
Pourtant, je savais qu’il était précieux.
Je redoute que ce que je croyais éternel ne disparaisse en quelques heures, me laissant appauvri. Car le lien spirituel à un passé que nous pouvons dire nôtre est l’une des seules vraies richesses.
A propos de richesse, dès le lendemain de la catastrophe, on pense à donner pour reconstruire. Nos chers milliardaires font même assaut de générosité médiatique. Pinault donne 100 millions d’euros, LVMH 200 millions, la mairie de Paris 50 millions, et la région Ile de France 10 millions.
Ces montants claironnés, au lieu de me rassurer, m’exaspèrent. Tout notre début de 21ième siècle se dit dans le rapport entre ces quatre chiffres. Une société qui fonctionne bien ne devrait-elle pas fournir les données inverses : la puissance publique capable de mobiliser des centaines de millions d’euros et les fortunes privées quelques millions (ce qui serait déjà largement suffisant)?
Il manque un cinquième chiffre : celui des dons de tous les anonymes comme moi. J’aimerais qu’ils soient tellement faramineux que nous n’ayons pas besoin de ces milliardaires qui s’approprient la reconstruction de nos symboles comme ils se sont appropriés le reste. Mais je sais bien que c’est le contraire : ce sont eux qui n’ont plus besoin de nous pour détruire et reconstruire le monde. Et ce depuis déjà des décennies.