LA FAVORITE

J’ai aimé ce film d’abord parce que Yorgos Lanthimos est un sacré styliste. Chaque plan surprend par la beauté iconoclaste de sa composition. Tout est filmé en contre-plongée (du point de vue d’un des animaux de compagnie d’une dame de compagnie, ou peut-être des lapins de la reine ?). Frontalité à la Wes Anderson.

Ensuite à cause de la complexité des trois personnages féminins, et de leur relation. Chacune d’entre elles évolue : la Reine (Olivia Colman) est à la fois une marionnette stupide et une femme blessée par ses nombreuses fausses couches, terrifiée par sa fonction publique et terriblement seule. La favorite en place (Rachel Weisz), est d’abord impressionnante de dureté puis touchante, lorsqu’elle comprend qu’elle est évincée. Enfin la nouvelle favorite (Emma Stone) paraît d’abord l’héroïne positive, avant de se révéler le véritable monstre d’individualisme, ou même d’égoïsme. Autrement dit, ce film n’est pas seulement un exercice de style maniériste mais arrive à faire évoluer, de manière passionnante, notre regard de spectateur sur les personnages principaux.

Quant à la cour d’Angleterre, elle est filmée comme un hôpital psychiatrique. Un concentré de grandes passions et d’ambitions mesquines vu par un Saint-Simon déjanté. Les hommes, maquillés et futiles, y jouent le rôle habituel des femmes. Tous sont d’une méchanceté jubilatoire. Comment ne pas être redevable à ce Grec d’avoir montré des Anglais aussi hystériquement pervers que le sont d’ordinaire les Français dans les films anglo-saxons?

KANATA

Samedi 9 février 19

Spendide mise en scène de Robert Lepage avec la troupe du Soleil à la Cartoucherie.

Le propos de ce premier volet de la trilogie explore plus la réalité contemporaine des junkies de Vancouver que l’histoire des peuples premiers. J’attends la suite.

Mais je garde déjà dans la tête des images visuelles très fortes :

Les colonnes du sous-sol d’un musée devenant les troncs d’une forêt attaqués à la tronçonneuse par des ouvriers de chantier,

Le récit de la rue Hastings et du commerce de l’opium comme arme culturelle de l’Occident contre la Chine, puis de la Chine contre l’Occident, tandis que toute la troupe danse une chorégraphie paisible de Chi Qong,

Un canoë qui monte et qui se renverse quand le jeune Indien embarque l’artiste peintre dans l’essai du psychotrope,

Enfin, dans la scène finale, tous les paumés qui viennent trouver un abri dans l’atelier de l’artiste solitaire en train de peindre.

La virtuosité des changements de lieux permet de dire le monde moderne aussi efficacement et plus poétiquement que le cinéma.