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L’ILE AU TRESOR

Vendredi 11 octobre 19

Lundi dernier, journée traditionnelle de projection « Lycéens au cinéma » à l’espace 1789 de Saint-Ouen. Les cinéphiles du lycée déjeunent tous ensemble au « Montmartre », le petit resto près de l’église. Le professeur Normal se dit qu’il est heureux de faire partie de cette petite équipe qui prend plaisir à se retrouver et à parler cinéma.

L’année dernière, il avait été littéralement ébloui par Makala, le documentaire d’Emmanuel Gras. Cette année, il a un coup de cœur pour L’île au trésor de Guillaume Brac : un autre documentaire, sorti l’année dernière, en 2018, et qu’il avait manqué à l’époque. Brac filme la saison d’été dans la base de loisirs populaire de Cergy, regardant et écoutant les ados dragueurs, les enfants resquilleurs, les familles, les adultes solitaires, les gardiens, les animaux, le lac, le soleil, la pluie.

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MAKALA

La découverte de la fin 2018, grâce à « Lycéens au cinéma »!

Le professeur Normal achète immédiatement le DVD pour le montrer à ses amis.

Ulysse est stupéfait lui aussi par la puissance de ce film, sa façon de happer le spectateur pour lui faire ressentir, grâce à l’image et grâce au son, l’odyssée humaine du personnage. Au contraire, Arlette et le citoyen Lambda lui reprochent d’esthétiser la misère, sans proposer aucune perspective politique, en bon Occidental qui regarde le noir pousser son vélo et ne cherche pas à l’aider. Ulysse n’est tellement pas d’accord que, pour une fois, il sort de sa distance confortable d’éternel cynique et se met presque en colère : un artiste n’est ni un militant, ni un travailleur humanitaire, sa tâche consiste à témoigner, en la dignifiant, d’une expérience humaine ! Ce ne sont pas seulement de « belles images » (même si objectivement elles sont très belles), mais des images « authentiques », au sens où elles font éprouver de l’intérieur l’âpreté mythique d’une condition !

Les autres le regardent palpiter, stupéfaits. Lambda, à qui l’on vient de clouer le bec, est pourtant presque ravi de constater que son vieux pote est encore capable de prendre feu pour quelque chose.

Ulysse est tellement frappé par ce film que, quelques semaines plus tard, il se glisse en douce dans le sillage du professeur aux journées de formation « Lycéens au cinéma », dans une salle art et essai d’Arcueil. Il est un peu désagréablement surpris de constater qu’il ne détonne pas vraiment dans cet aréopage de pédagos lecteurs de Télérama, mais, surtout, il découvre la « lettre vidéo » écrite par Emmanuel Gras pour expliquer son itinéraire artistique et sa pratique du documentaire. « Texte » magnifique de simplicité et de profondeur : Ulysse y trouve des éléments passionnants de réflexion, non seulement sur le cinéma, mais sur l’art en général et sur l’humanité.

Emmanuel Gras : un poète du documentaire (alors que ces deux mots semblaient à Ulysse être a priori antinomiques).

Et un poète capable d’expliquer ses choix avec justesse, comme dans cette intéressante interview :

Cultiver notre jardin

L’une des images qui me restent du film, c’est un duo d’Anglaises sexagénaires et rigolotes. Elles racontent comment, un jour où elles venaient de voir un documentaire sur l’état désastreux de la planète, elles se sont dit : « Well, on va commencer par ici. Par ce café, par ce quartier. » Et avec une bonne poignée d’autres Anglais farfelus, elles ont commencé à investir le moindre petit espace abandonné de leur cité pour le transformer en jardin de la biodiversité. Elles en ont même installé un devant le commissariat, où les gens peuvent venir ramasser des framboises plutôt que des prunes.

Parmi tous les personnages passionnants qui sont interviewés, je me souviens de ces deux modestes Britanniques, parce qu’elles m’ont fait soudain penser à la fin de Candide que je venais d’expliquer à mes 2ndes. Le moment où Candide coupe enfin la parole à ce ratiocineur de Pangloss : « Cela est bien dit mais il faut cultiver notre jardin. »

Oui, ces deux Anglaises et les autres personnages du film ont commencé à donner son sens le plus actuel à la célèbre formule de Voltaire en se retroussant les manches pour, au sens propre du terme, cultiver notre jardin. Quant à nous, il ne faudra sûrement pas trop tarder à s’y mettre.

Dans Demain, on apprend plein de choses sur aujourd’hui, sur le mécanisme de la monnaie aussi bien que sur les résultats étonnants de la permaculture.

La dernière séquence sur l’école en Finlande m’a paru un peu idyllique mais elle m’a fait rêver quand même.

Le site du film est très intéressant, notamment la rubrique « Les solutions ». On y découvre pas mal de liens intéressants pour commencer à modifier peu à peu ses habitudes, à changer de supermarché et même de banque. Je pense que la BNP n’a qu’à bien se tenir.

Retour aux sources

I. Just like  heaven (Cure)

Mais oui, bien sûr, ça commencera comme ça. Par un retour aux sources!

 

II.Se blottiner : se blottir contre une poitrine fleurie pour y butiner le futur miel du plaisir.

Et puis aussi y potiner, en mangeant des tartines (ou des pains au chocolat).

 

III.Une seule règle :

NE JAMAIS SE RELIRE

(avant d’être allé au bout du premier jet)

 

IV.Il a envie de tout envoyer promener, celle qui le trahit sans oser le lui dire, ses enfants qu’il adore, ses projets qui lui pèsent. Sur un coup de tête, il cherche le numéro de la CGM et, d’une traite, il propose à la personne qui décroche de le laisser s’embarquer sur un cargo, où il payera son tour du monde en déchargeant dans chaque port les containers. C’est surtout ça, qui l’attire, non pas le voyage, mais le travail du docker, pour tout oublier. Retour à ses sources actives. A Jack London. Son interlocutrice, une dame peut-être un peu âgée, éclate gentiment de rire : on n’est plus au XIXe, cher monsieur, mais au XXIe, elle comprend très bien son projet romantique mais non, impossible de travailler pour payer sa traversée ; en revanche, il pourrait louer une cabine libre, il en reste parfois.

Alors qu’il s’enfonçait dans la déprime, elle le rappelle quelques jours plus tard : lui propose les Antilles 14 jours, ou Buenos-Aires, 45 jours. Il choisit les Antilles, parce que c’est la première fois qu’il fait ce genre de choses. Et puis il n’est pas sûr qu’il pourra laisser tomber ses enfants plus longtemps, ou plutôt qu’il pourra vivre plus longtemps sans eux. Quant à elle, il ne sait pas. Il lui dit seulement qu’il s’en va, pendant quinze jours, sans lui dire où. Elle le regarde avec curiosité, elle lui pose une ou deux questions mais elle n’insiste pas. Il en est soulagé et déçu. Il paye sa cabine mille euros mais il laisse son ordinateur et son téléphone chez lui. Juste de quoi lire et de quoi écrire à la main. Pour cela au moins il pourra se sentir revenu au XIXe siècle.

Personne ne sait qu’il s’est embarqué. Personne au monde ne peut le joindre pendant quinze jours.

Il mange à la table des officiers, avec lesquels il sympathise.

Il regarde la mer. Il se perd dans le spectacle de la mer. Il se retrouve.

Le plus bizarre, c’est qu’il ne s’ennuie jamais.

Quand il arrive aux Antilles, il passe deux jours sur la plage, mais il se sent totalement déplacé. Autant qu’il se sentait replacé face à la mer. Alors, fidèle à son projet de retour aux sources, il s’interdit de téléphoner mais il se hâte de rentrer. En avion cette fois. Il a laissé grandir en lui le désir fou de les revoir, et de la retrouver elle. Il se demande s’il leur a manqué autant qu’ils lui ont manqué. Il se demande s’il a bien fait de la laisser éprouver pendant quinze jours ce que serait vraiment la vie sans lui, et pas cette existence misérable où l’on vit l’un à côté de l’autre en rêvant de quelqu’un d’autre.

Lui, il a bien fait.

Se perdre et se retrouver face à la mer : pas exactement la même chose que de décharger des containers sur un port, mais presque aussi intense. Ce serait comme décharger tous les containers inutiles pour se trouver réduit à son essentielle coque.

V.Léonardo Dicaprio au Forum économique de Davos. Après avoir fait exploser la folie du libéralisme dans l’inénarrable The Wolf of Wall Street,  il l’exprime ici en mots.

Peut-être dommage qu’on soit obligé de confier à des acteurs le souci d’être la conscience de la planète, mais ce qu’il dit est bien dit. Et c’est jubilatoire qu’un type se serve de sa notoriété pour s’introduire dans le bunker doré de Davos et dire leur fait aux insensés surprotégés qui nous gouvernent.

VI.QUOI, TU NE T’ES PAS ENCORE LANCE ?J’AI DIT « NE JAMAIS SE RELIRE » ! N’OUBLIE PAS QUE JE TE SURVEILLE ET QUE SI TU CONTINUES A TE SURVEILLER TU VAS AVOIR AFFAIRE A MOI !

 

VII.La cour de Babel

J’aime regarder mes élèves regarder les élèves de ce documentaire.

 

VIII.Oh ce matin, un peu de neige dans le jardin !

matin de neige

J’ai envie de dire : comme avant ! Mais je ne suis pas sûr que les habitants de Washington partageraient ce sentiment de nostalgie.

 

IX La visite de la vieille dame

Là aussi, retour aux sources pour Omar Porras et son Teatro Malandro : ils montent pour la troisième fois depuis le début de leur histoire en 1993 la pièce de Dürrenmatt. Ce qui me permet de la découvrir. Et je suis complètement bluffé (comme d’habitude) par le travail jubilatoire du maître colombien. La pièce est une satire grinçante (mais peut-être un peu vieillie ?) des valeurs humanistes brandies par ce village suisse emblématique de l’Europe, et par les garants de ses institutions, le maire, le prêtre, le policier, le maître d’école (je dis « peut-être un peu vieillie » parce qu’aujourd’hui on se sent plus le besoin de restaurer ces institutions que de les dézinguer).

 

Mais Porras, par l’inventivité de sa mise en scène, le travail sur le masques, la gestuelle, la musique, les lumières, l’élégance des changements de décor, l’emmène dans une autre direction : une farce rythmée, lumineuse, et cauchemardesque, celle d’un état très actuel du monde, où l’argent achète tout et où les médias ne sont plus les dupes mais les co-organisateurs de ce dévoiement généralisé des valeurs (si Porras passe du rôle de la Vieille Dame à celui du Journaliste, n’est-ce pas pour nous dire qu’il s’agit de la même instance à l’œuvre ?). Cette claudicante et hiératique Vieille Dame, dont le corps n’est plus qu’un assemblage de prothèses et dont ne reste intacte que la volonté vengeresse de « transformer le monde en bordel », ne devient-elle pas une allégorie du capitalisme, agonisant depuis des décennies mais qui va se révéler encore capable de précipiter sous nos yeux le monde à sa perte ?

En plus, c’est drôle. D’où les applaudissements assez surprenants, le soir où j’ai vu la pièce au Théâtre 71, de la partie la plus adolescente du public, lorsque le malheureux Ill se fait abattre sur scène ? Une réaction d’adhésion à l’ordre instauré par la Vieille Dame qui m’a déconcerté, c’est le moins qu’on puisse dire.

X. Une fille qui chante seule dans la cour de récréation.

XI. Leïla Alaoui s’était rendue à Ouagadougou pour réaliser un documentaire sur les violences faites aux femmes en Afrique, à la demande d’Amnesty International. C’est là qu’elle a été tuée, dans l’attentat du 15 janvier.

Elle était une photographe très prometteuse. Elle avait 33 ans. Née à Paris d’un riche homme d’affaire marocain et d’une photographe française, elle avait fait ses études à New York. Sans doute aurait-elle pu se contenter d’appartenir à une sorte de jet-set. Mais son oeuvre révélait un regard très engagé et beaucoup de sensibilité, notamment au thème des migrants et des frontières. Une volonté affirmée de ne pas oublier ses origines et de lutter contre le néo-colonialisme pour témoigner sur son temps. Une femme libre, intelligente, artiste, qui se situait aux points d’intersection entre les deux cultures et qui avait quelque chose d’incisif à dire sur les deux : même si elle n’était sans doute pas une cible délibérée, tout ceci lui faisait quand même beaucoup de raisons d’être tuée par les islamistes.

 

De l’un de ses derniers projets, « Les Marocains », encore exposé à Paris le jour de sa mort, elle écrivait : « Les photographes utilisent souvent le Maroc comme cadre pour photographier des Occidentaux, dès lors qu’ils souhaitent donner une impression de glamour, en reléguant la population locale dans une image de rusticité et de folklore et en perpétuant de ce fait le regard condescendant de l’orientaliste. Il s’agissait pour moi de contrebalancer ce regard en adoptant pour mes portraits des techniques de studio analogues à celles de photographes tels que Richard Avedon dans sa série “In the American West”, qui montrent des sujets farouchement autonomes et d’une grande élégance, tout en mettant à jour la fierté et la dignité innées de chaque individu. »

Leïla Alaoui était belle, et ceci contribue sans doute à notre émotion. Sur certaines photos, elle a même un air de star de cinéma glamour. Je préfère celle-ci, où l’on voit la photographe poser à côté de son œuvre.

 

Je la rapproche d’un portait de Marocaine pour m’interroger sur ces deux images de femmes, l’artiste et son sujet.

 

D’un côté une femme moderne, occidentalisée, et de l’autre une femme traditionnelle. N’y aurait-il pas un point commun : ne ressent-on pas chez les deux une même fierté, celle dont l’artiste nous parle dans la présentation de son exposition ?

De Bernard Maris à Leila Alaoui : ces terroristes ne détruisent pas seulement ce qu’il y a de plus digne dans notre culture, mais aussi dans la leur. Ce doit être ça, le but : un monde dans lequel ne resteraient plus que les brutes d’un camp et de l’autre, face à face. Donald Trump face à Abou Bakr Al-Baghdadi : le monde de l’intelligence et de l’ouverture dont on rêve.