QUARANTE DEGRES SOUS ZERO

Jeudi 15 décembre 23

Le choc Munstrum Théâtre.

D’abord celui de découvrir, à partir de deux pièces, l’écriture de Copi, subversive, bouffonne, délirante, mais dégageant aussi pour le spectateur d’aujourd’hui la nostalgie d’une époque révolue de liberté rageuse, où la provocation n’avait pas pour but de faire le buzz sur les réseaux sociaux mais d’ouvrir de force les esprits et la société. Dans la deuxième, Les quatre Jumelles, Copi va encore plus loin que dans la première, L’homosexuel ou la difficulté de s’exprimer, en faisant exploser même la façon traditionnelle de raconter une histoire à travers une accumulation de scènes répétitives et parodiques de thriller policier, où les quatre jumelles en question passent leurs temps à s’insulter, se shooter, s’entremassacrer et… ressusciter aussitôt dans une allégresse panique. Une pièce carrément « injouable ».

Pourtant le Munstrum non seulement joue Copi mais le transcende. Il n’enlève rien à ces deux pièces de leur charge trash, mais par l’urgence et la précision de son travail sur le rythme, sur les masques, les costumes bouffons, les éclairages, la musique, il les amène vers des contrées inexplorées de poésie onirique.

La deuxième pièce, notamment, fait halluciner Ulysse. Dépassant la répétition mécanique de ces exécutions bouffonnes, le Munstrum le fait assister à la progression linéaire d’une agonie. « Je sens que je suis en train de mourir » s’exclament sans arrêt les personnages et c’est cette phrase que le Munstrum prend au sérieux : à travers le mécanisme bloqué de la mort qui vient, on finit par prendre pied dans le grand froid de l’au-delà, jusqu’au dépouillement ultime où les personnages (ou les comédiens) débarrassés de leurs oripeaux et de leurs rembourrages posent leurs masques sur le sol et montrent leur vrai visage. Voilà, se dit Ulysse, ce que nous montre Copi vu par le Munstrum : le jour de notre mort.

Il ne découvre qu’aujourd’hui cette compagnie incroyable du Munstrum Théâtre, fondée en 2012 par Louis Arene et Lionel Lingelser. Les deux se sont rencontrés au Conservatoire dans le cours de masque de Mario Gonzalez ( ils ont gardé la liberté du masque sans le corset de la commedia dell’arte), puis ils ont réuni autour d’eux d’autres comédiens dans l’orbite d’Omar Porras, dont ils ont assimilé le mélange de grotesque et de poésie (vu par exemple dans La visite de la Vieille Dame) pour le faire servir à leur propre univers, totalement original.

Ils annoncent un MacBeth, où ils projettent d’« affronter les ténèbres d’aujourd’hui » mais aussi de « réaffirmer la joie », comme le déclare Louis Arene lors du bord de plateau qui suit la représentation. Ok, pour voir ça, un MacBeth revisité par le Munstrum, Ulysse est prêt à faire le voyage à pied jusqu’à Mulhouse, voire même jusqu’à la lande des sorcières.

Troisième fois cette année qu’Ulysse va au Théâtre 71 : Howl 21-22, Les Forteresses, Quarante degrés sous zéro. Wahou ! Trois propositions complètement différentes mais très fortes. « Bravo, se dit Ulysse, à Armelle Vernier et à toute son équipe, pour ces trois soirées décapantes et poétiques qui ont illuminé de trois éclairs de théâtre un sombre automne. ».