La Première Femme Nue vue par les Belges

Un deuxième article sur « La première femme nue », publié dans « La Libre Belgique » du 18 mai 2015 :

Roman
La première femme nue

On la connaît, certes, par “Phryné devant l’Aréopage”, le mythique tableau peint en 1861 par Jean Léon Gérôme, conservé au musée des BeauxArts de Hambourg.Mais qui était Phryné? Une adolescente “à la beauté du diable” qui deviendra “l’hétaïre la plus scandaleuse d’Athènes”: ainsi, du moins, rayonne ou flambe-t-elle dans le roman initiatique fleuve que lui consacre Christophe Bouquerel, helléniste de formation et professeur de lettres dans un lycée de la région parisienne.

Un monologue étourdissant, écrit dans une langue ciselée, d’un lyrisme à la Hortense Dufour, à l’Irène Frain, à la Véronique Bergen. On y suit le chemin parcouru par celle qui se dit d’une “beauté parfaite” et qu’immortalisera le plus grand artiste de son temps, Praxitèle, qui, avec elle pour modèle dont il deviendra l’amant, créa “le premier type de femme nue dans la sculpture grecque”. Ainsi que le rappelle l’auteur, Phryné a vraiment existé, au IVe siècle av. J.C.: “Aujourd’hui que l’on se détourne de la culture antique, cette femme légendaire est un peu tombée dans l’oubli. Tant mieux peut-être. Elle peut en ressortir, débarrassée des rêveries usées qu’ont plaquées sur elle le générations d’hommes qui nous ont précédés, neuve et nue, comme Aphrodite sortant des eaux.”

Un roman féministe, kaléidoscopique, violent et voluptueux, qui, pour son magistral auteur, “raconte autant le perpétuel apprentissage d’une héroïne subversive par instinct de survie que l’aventure d’un monde qui vacille et se réinvente”. Saisissant portrait d’une femme “fougueusement engagée dans la tentative de conduire sa propre histoire, qui défie constamment la société et les hommes sans jamais renoncer à l’affirmation de son identité”.

(Fr.M.)
Christophe Bouquerel, Actes Sud, 1200pp., env. 27€

 

Le premier article

Quelques jours après le compte-rendu sur le blog de la librairie Mille Pages est paru le premier article de presse sur La première femme nue, dans le Journal Du Dimanche du 17 mai, sous la plume de Laëtitia Favro. Là aussi, je l’attendais avec une grande impatience et une naïveté indéniable, à la fois pour la visibilité du roman et pour moi, comme une marque de reconnaissance officielle.

Christophe Bouquerel et l’aventure de Phryné

Christophe Bouquerel raconte l’aventure de Phryné, la plus belle femme de Grèce, dans un roman foisonnant.

Dans les bas-fonds du Pirée sommeille une jeune beauté à la peau d’ambre, aussi farouche que désirable, vendue comme prostituée après le sac de son village et vouée à satisfaire les désirs des hommes de passage. La providence voudra que son chemin croise celui de Praxitèle, alors jeune sculpteur en mal d’inspiration, qui scellera, en la possédant puis en la choisissant pour muse, la destinée hors du commun de la plus célèbre des hétaïres. « C’est bien ainsi que commence la rencontre du sculpteur hanté et de la pute mutique : par un fragment de visage offert au soleil. Par deux éclats différents de solitude. Par une toute petite étincelle de sens entre deux pierres dures avant le grand incendie. »

Une fresque qui défie les lois de la narration

Du bordel insalubre aux banquets raffinés où elle séduit les amants les plus influents, de l’atelier de Praxitèle à l’Aréopage, où, accusée de pervertir la jeunesse athénienne, l’orateur Hypéride la sauve en déchirant sa tunique, Phryné attise les passions par sa beauté envoûtante mais aussi par ses caprices prométhéens. Elle part ainsi à la conquête de son indépendance en défiant la morale et l’autorité des hommes, à une époque où la place des femmes dans la société ne différait guère de celle des esclaves ou des animaux.

Helléniste de formation, Christophe Bouquerel fait le pari de la somme et du phrasé classique pour ériger cette fresque impressionnante, véritable défi aux lois de la narration. Conscient que le parcours de la divine hétaïre ne saurait être dissocié du contexte dans lequel il s’inscrit, l’auteur dresse le portrait de la société grecque du IVe siècle avant J.-C. alors en plein questionnement, parcourue de luttes intestines et de velléités hégémoniques. Poétique, délicate, sachant puiser dans la légende ce qu’il faut de souffle romanesque pour captiver le lecteur, la langue vient adoucir la cruauté du sort de Phryné et rendre intelligible, palpable, un monde souvent relégué à de lointains souvenirs de cours d’histoire (même si la crise de la société grecque de cette époque n’est pas sans rappeler les attaques que connaissent nos démocraties contemporaines, en quête de renouveau). À l’origine de chefs-d’œuvre de marbre et de pigments, cette figure mythique qui n’en a pas fini de fasciner peut désormais s’enorgueillir de toucher au cœur par la plume.

Laëtitia Favro – Le Journal du Dimanche

dimanche 17 mai 2015

Un hussard de la République (ou le roi des cons, c’est selon)

Voilà ce qu’est, selon son propre aveu, le professeur Normal. Il va se déclarer gréviste, et, en même temps, aller au lycée pour faire passer des oraux blancs à ses petits hellénistes avant le vrai bac de demain. Etant donné qu’il s’est souvent moqué des collègues qui agissaient ainsi, « à la japonaise », il m’a demandé de ne pas ébruiter ce secret honteux.

Sur la place du latin et du grec dans la réformette

« Pourquoi, me demande le professeur Normal, est-ce sur le latin, et, dans une moindre mesure sur l’histoire, que se cristallise la controverse actuelle? A mon sens, malheureusement, elle oblitère le problème fondamental du collège, qui est la définition uniquement généraliste du collège unique. Mais cette brusque prise de bec du pays à propos du latin m’intrigue, et m’amuse presque (tant je suis surpris de constater que je ne suis pas l’un des derniers dinosaures à considérer cet enseignement comme important). Peut-être cette controverse un peu absurde nous révèle-t-elle quelque chose de profond sur nous-mêmes?  Le latin, l’histoire, c’est le passé, notre rapport au passé, la conscience que nous avons de notre origine, et la place que nous voulons lui accorder dans notre présent. Cette origine, doit-elle être le fait de tout le monde, être dispensé à tout le monde, ou bien seulement à une élite, à qui nous confierions le soin d’en perpétuer le souvenir? De même que, en temps normal, nous étions très peu à lire « Charlie Hebdo » et nous laissions dans la quasi indifférence cette poignée de dessinateurs vieillis maintenir un peu vivante la tradition de l’humour anticlérical. Mais si on les attaque, nous descendons par millions dans la rue. Question de société, peut-être même de civilisation, encore accentuée depuis ces attentats et ce retour sur nous-mêmes qu’ils nous ont obligés à accomplir. Bref, cette controverse pose, sans doute maladroitement, le problème de la tradition (dans un pays qui croyait malin de l’opposer à la novation). Tout ça, c’est ce en quoi la dispute sur le maintien du latin ne concerne pas seulement le latin.

Si on recentre sur l’école, et sur la place des langues anciennes dans l’enseignement du collège, qu’est-ce qu’on peut dire de pragmatique? Les mesures qu’on peut lire sur Eduscol sont plutôt mesurées mais on ne peut comprendre notre méfiance que parce que le discours officiel a beaucoup évolué. Au début, dans la brillante stratégie de com du ministère, on ne parlait plus du latin et du grec que dans le cadre des EPI et des huit thèmes parmi lesquels chaque établissement aurait à choisir. Ce qui posait évidemment le risque d’une disparition totale de ces enseignements dans certains établissements, où les lettres classiques ne seraient pas assez bien représentés.  C’est seulement devant la pression des associations de profs, des « pseudo-intellectuels » et de la droite qu’on a vu ressortir la possibilité des options. D’après ce que j’ai compris, c’était seulement un « oubli » ou une « erreur de communication » (je rigole).

Donc, nous avons maintenant ce texte plus équilibré sur Eduscol. Qu’est-ce qu’on nous y dit précisément du latin et du grec? Ils seront enseignés dans trois dispositifs. Premièrement, pour tous, en cours de français : « Les éléments fondamentaux des apports du latin et du grec à la langue française feront l’objet d’un enseignement dans le cadre des cours de français ». Pourquoi pas? Ce sera une vague teinture mais elle ne peut pas faire de mal. Encore faudrait-il que les profs soient formés (et il y a de moins en moins de lettres classiques). Deuxièmement, à titre facultatif, dans les EPI : « tous les élèves pourront profiter d’un EPI portant sur les langues et cultures de l’antiquité, une ou plusieurs fois au cours de leur scolarité, et, ainsi, accéder à des apports culturels essentiels à notre civilisation. » Tu ne trouves quand même pas un peu étrange cette antithèse entre « pourront » et  essentiels« . Si on les considère vraiment comme « essentiels », n’aurait-il pas fallu écrire « devront » à la place de « pourront »? Troisièmement, à titre encore plus facultatif,  un enseignement de complément sera accessible à ceux qui souhaitent approfondir l’apprentissage des langues anciennes, à raison d’une heure en classe de 5e, de deux heures en classe de 4e et en classe de 3e. Donc, l’enseignement véritable de la langue et de la culture grecque ou latine sera comme aujourd’hui réservé à une élite. Je note en passant que le principe de ne pas diminuer le volume horaire n’est pas respecté, puisqu’on passe de trois heures à deux heures. Si l’on affirme « Ces derniers auront donc le même nombre d’heures d’enseignement que les élèves qui suivent aujourd’hui l’option de langues anciennes », c’est, j’imagine, en ajoutant aux options qui perdent une heure, les deux autres dispositifs (dont on a vu qu’ils étaient eux « facultatifs »). Voilà le tour de passe-passe et je pense qu’il sera opéré de même dans les autres disciplines. »

« Mais tout ça, à la rigueur, ça peut passer. Non moi , explose soudain Normal, ce qui m’agace vraiment, c’est de lire la phrase suivante : « L’excellence sera ainsi mise au service de la réussite de tous et de la réduction des inégalités de maîtrise de la langue française. » Ah non, ça, sûrement pas! Cette réformette ne réduira en rien « les inégalités de maîtrise de la langue française », c’est une imposture. Si l’on voulait vraiment réduire les « inégalités de maîtrise de la langue française  » (qui sont réelles et qui, à mon sens, s’aggravent), on ferait deux choses : d’abord (là évidemment, c’est le point de vue d’un lettres classiques), on développerait pour tous l’enseignement du latin et du grec, parce qu’il donne des bases solides, aussi bien en ce qui concerne le vocabulaire que la syntaxe. Mais surtout, on évaluerait la façon dont on enseigne le français, pour voir si elle est aussi efficace qu’elle pourrait l’être. Une vraie réforme ne devrait-elle pas commencer par l’évaluation des pratiques mises en place depuis vingt ans? Mais ça, qui est l’essentiel, ce n’est pas prévu. Pas question. De même qu’il y a fort à parier que les nouveaux dispositifs EPI, comme l’AP et les EE en lycée, ne seront jamais vraiment évalués… »

« La dernière chose qui m’agace, reprend Normal, c’est la façon dont la ministre a cherché à vendre la réforme : « au collège, les élèves s’ennuient« . Et alors? Ce thème de l’ennui dans notre société mériterait sûrement d’être creusé. Qu’est-ce que cache cette peur panique de l’ennui, cette incapacité à lui donner le moindre sens? En tout cas, appliqué à l’enseignement, il sonne comme une injonction vaguement démagogique faite aux profs de « divertir » les élèves, d’être plus « attrayants », bref d’aligner l’école sur cette industrie frénétique du loisir qu’est en train de devenir l’ensemble de notre vie en société. Comme si le véritable problème tenait à la façon qu’ont les profs de faire passer la pilule amère du savoir, et non à l’incapacité qu’éprouve la France d’aujourd’hui à définir pour ses jeunes le contenu, l’utilité et les exigences de ce savoir.

Voilà, a-t-il conclu, c’est pour ça que j’irais manifester mardi : pour la réforme du collège, contre la réformette. »

-Mais, lui ai-je objecté, tu vas manifester avec la droite!

-Et alors, m’a-t-il rétorqué. N’est-ce pas ce que tu as déjà fait comme moi au mois de janvier pour la liberté d’expression ? Pourquoi ne pas le refaire au mois de mai pour la défense de l’éducation et de nos matières? Tant pis pour la gauche. Si tant est que ces gens-là, d’ailleurs, on puisse les dire de gauche. « 

Sur la réforme(tte) du collège

Il y a quelques jours, j’ai rediscuté devant un thé avec ce bon Arthémus Normal, professeur de Vieille Langue Bien Morte au lycée Enrico Macias. Nous avons évidemment parlé de la réforme du collège. Il s’était tapé en entier la lettre de la ministre.

Hé bien, d’après lui, elle part d’un constat juste : « Le collège est depuis trop d’années le niveau oublié des politiques scolaires. » (c‘est ce qu’on pouvait reprocher aux réformes imposées par le gouvernement Sarkozy, que de commencer par la fin  : l’université puis le lycée). Et elle se propose un but tout à fait louable : « Notre objectif est de mettre fin à cette situation avec une réponse globale et adaptée aux enjeux de la société d’aujourd’hui. »

Le problème, nous dit Normal, commence lorsqu’on examine avec pragmatisme les moyens qu’elle se propose pour fournir cette fameuse  « réponse globale ». Lorsqu’on va, comme il l’a fait, sur Eduscol, le site  de l’éducation nationale où s’affichent les indications officielles, qu’est-ce qu’on trouve? Evidemment, beaucoup de graphiques très savants et bien coloriés, accompagnés de quelques statistiques (pour faire sociologue)  et de phrases ronflantes (pour faire humaniste). Ne soyons pas injuste, ricane-t-il, c’est peut-être inévitable (et puis ça ne coûte pas cher). Mais, sincèrement (il clique) quand tu lis et que tu vois ça :

« Les évolutions du collège relèvent d’une approche globale dans laquelle la réorganisation structurelle des enseignements est au service d’une approche pédagogique renouvelée.

 

ça ne te fait pas un peu rigoler? »

Nous avons rigolé. Puis, il m’a demandé : « Bon, maintenant si on décrypte ce machin, qu’est-ce qu’on trouve ? Essentiellement ces fameux EPI, Enseignement Pratique Interdisciplinaire, à 3 ou 4 h par semaine, et l’Accompagnement Personnalisé (là, pas vu combien d’heures). Ca ne te rappelle rien? Mais si : la réforme du lycée de Chatel, avec l’Accompagnement Personnalisé et les Enseignements d’Exploration en 2nde! »

J’ai tenté de lui dire que les Explos et l’AP n’étaient pas sans intérêt, mais il m’a tout de suite coupé la parole : « Sincèrement, toi qui es comme moi sur le terrain, est-ce que tu peux dire que ces deux enseignements ont une quelconque influence sur le devenir scolaire des élèves? Est-ce qu’ils contribuent en quoi que ce soit à réformer et améliorer le lycée? Qu’ils fournissent en quoi que ce soit une « réponse globale » aux problèmes du lycée ? Non, évidemment. Ces deux types d’enseignement ont été créés pour jeter aux yeux des parents d’élèves un écran de fumée qui cachait la diminution horaire des enseignements fondamentaux et l’augmentation du nombre d’élèves par classe. Tu le sais bien, puisque tu t’es mobilisé à l’époque contre cette réformette du lycée, dont les soi-disant dispositifs novateurs dissimulaient les véritables enjeux budgétaires. Hé bien, le plus triste pour la gauche, c’est que la critique de la réformette Châtel du lycée peut resservir presque mot pour mot pour aborder la réformette Vallaud-Belkacem du collège. A mon avis, on peut mettre à peu près la même note à la copie superficielle de mademoiselle Najet qu’à celle malhonnête du jeune Luc. »

-Tu es un peu dur quand même, lui ai-je rétorqué. Entre une socialiste sincère et un libéral démagogue, il y a une différence!

-Ah bon, où ça? Ah oui, les, comment dit-on déjà, les « éléments de langage ».  Ta socialiste parle de défendre « l’égalité » là où le libéral parlait de promouvoir la « liberté », parce qu’un peu de bonne vieille idéologie, surtout en matière d’éducation, ça ne fait jamais de mal. Mais les solutions proposées restent les mêmes : des dispositifs soi-disant novateurs qui cachent quelque chose d’autre. Quoi? On affirme explicitement : « Il n’y aura de baisse horaire pour aucun enseignement disciplinaire« . Je ne sais pas exactement ce qu’il en est des horaires au collège mais, moi qui suis comme toi un vieux de la vieille, je devine, je renifle, je subodore que c’est faux. Et qu’il s’agit au contraire du principal enjeu de cette réforme, comme de toutes celles qui l’ont précédée depuis vingt ans. »

Au bout de quelques instants de rêverie songeuse, il a poursuivi : « Par principe, je ne suis pas du tout contre ces EPI ni contre les projets interdisciplinaires. Au contraire, comme toi, je les pratique avec passion dans mon enseignement. Mais je sais deux choses : s’ils sont fondamentaux pour la richesse humaine des élèves (et aussi des professeurs), ce ne sont pas eux qui permettront de réformer en profondeur le collège et le lycée, ni de répondre aux nouvelles demandes de la société, tout simplement parce que, à mon avis, leur enjeu propre est ailleurs. Ce que je reproche à cette réformette, ce ne sont pas les EPI, mais c’est de ne pas s’attaquer aux véritables problèmes! De ne pas proposer de véritable redéfinition du collège unique comme dernier palier où l’on maintient ensemble (voire où l’on entasse à toute force) l’intégralité d’une classe d’âge. Je vais te surprendre, parce que l’enseignement général et unique qu’on y dispense m’a personnellement toujours convenu, en tant qu’élève puis en tant que professeur. Mais, quand je repense à certains de mes camarades d’adolescence, ou à certains des conseils de classe démoralisants auxquels j’ai assisté quand j’étais un jeune prof en collège, je vois le collège unique, tel qu’il est défini actuellement, comme une énorme machine à broyer les êtres sans parvenir à les former. Je le juge désastreux pour une grande partie des élèves et inefficace pour la société (à part pour lui permettre de réaliser des économies à courte vue). Ce qui m’agace, c’est d’entendre des gens intelligents prétendre que, pour donner une « réponse globale », il ne faut pas se poser la question globale : « est-ce la bonne solution d’imposer cet enseignement général comme le seul valable à tous les élèves d’une classe d’âge? » mais seulement affirmer que trois heures d’EPI par semaine suffiront à motiver les élèves et à régler le problème. C’est pourquoi je parle de tour de passe-passe.

Ensuite, a-t-il repris, et seulement ensuite, on devrait se poser le problème de la place, à l’intérieur de cet enseignement général, du latin et du grec… « 

 

Le premier compte-rendu

Ouiiiii, hi hi, les libraires lisent plus vite que les journalistes! Merci M. Pascal Thuot, de la Librairie Millepages. Je ne vous connais pas mais votre compte-rendu me fait très plaisir (parce qu’il est le premier et… qu’il est positif)! Joie pour un auteur de constater que ses intentions ont bien été comprises et, je dirais, ressenties par un lecteur.

Coups de coeur Millepages Librairie

A la recherche de la première femme nue

« Oui, voilà, je le sais maintenant, je le vois, c’est bien ainsi que commence la rencontre du sculpteur hanté et de la pute mutique : par un fragment de visage offert au soleil. Par deux éclats différents de solitude. Par une toute petite étincelle de sens entre deux pierres dures avant le grand incendie. »

A l’heure où l’enseignement des lettres et cultures classiques est remis en question, à l’heure où, hélas, il faut encore se battre en faveur de l’égalité hommes-femmes, ce roman d’une folle ambition, d’une incroyable érudition tombe à point nommé.

Athènes au siècle de Socrate et Platon, au temps des plaisirs de la chair et de la philosophie. La gloire du temps de Périclès s’est éteinte pour laisser place aux guerres intestines.
Christophe Bouquerel s’empare du destin de Phrynê, « la princesse crapaud », esclave vouée à la prostitution, douée d’une beauté magnétique qui subjugua le sculpteur Praxytèle et les jeunes loups athéniens. Dans une période en pleine mutation, cette femme dont l’image se confondra petit à petit avec celle d’Aphrodite deviendra une femme libre, riche et influente.

L’âme de la Grèce antique est là, au coeur de cette fresque épique et politique dont la sensualité gagne le lecteur comme une fièvre. Christophe Bouquerel restitue dans un style ample et dru la transe vengeresse d’une femme opprimée qui finit par donner naissance à sa propre légende en se hissant au niveau de la divinité qu’elle inspira.

Un roman fleuve qu’on lit comme on vit une grande aventure !

Mr Pascal Thuot

https://www.librest.com/nos-lectures/la-premiere-femme-nue,2611482-0.html

Le gros Pline et la joyeuse Phrynè

Quand on fait une recherche sur les textes antiques qui nous parlent de la création de la Déesse nue, l’un des premiers personnages que l’on croise est un gros homme au souffle court, qui circule en chaise à porteurs dans les rues de Rome et du port de Misène. Il s’appelle Pline l’Ancien et il vit au premier siècle après JC (c’est à dire presque cinq cents ans après notre génial sculpteur).

Ce chevalier romain, après avoir passé sa jeunesse à lancer le javelot dans un régiment de cavalerie en compagnie de son pote Titus, le futur empereur, se prit de passion pour le savoir. Il devint obèse parce qu’il ne se déplaçait jamais qu’en chaises à porteur, non par paresse mais par goût de l’effort : ainsi, il pouvait continuer à prendre des notes sur les lectures que lui faisait l’un des esclaves commis à cette tâche (dans une lettre célèbre, Pline le Jeune raconte que son gros oncle lui reprochait de perdre son temps à se promener!). Même chose pendant ses repas. A côté de Pline, notre Gargantua a vraiment un petit appétit! Ce boulimique de lecture ne se distrayait de ses responsabilités administratives et militaires que pour écrire les 37 livres de sa Naturalis Historia. Dans les derniers tomes, consacrés à la minéralogie, il fit comme en passant une petite histoire de la peinture et de la sculpture, qui sont aujourd’hui nos principales sources sur ces deux arts dans l’antiquité. Il eut juste le temps de dédicacer son monument d’érudition à Titus avant d’aller observer l’éruption du Vésuve d’un peu trop près.

Dans le livre XXXIV, consacré aux métaux, en traitant des sculpteur qui ont travaillé ce matériau, Pline évoque brièvement, et avec une certaine vacherie, Praxitèle et l’héroïne de « La première femme nue », la trop belle Phrynè  :

« Praxiteles quoque, qui marmore felicior, ideo et clarior fuit, fecit tamen et ex aere pulcherrima opera. (…) Spectantur et duo signa eius diversos adfectus exprimentia, flentis matronae et meretricis gaudentis. Hanc putant Phrynen fuisse deprehenduntque in ea amorem artificis et mercedem in uultu meretricis. »

« Praxitèle aussi, qui fut plus heureux dans le marbre, et par là plus célèbre, fit néanmoins de très belles oeuvres en bronze. (…) On peut voir deux statues de lui exprimant des sentiments divers : une épouse en pleurs et une courtisane en joie. On pense que cette dernière est Phrynè. L’on prétend saisir dans la statue l’amour de l’artiste et celui de l’argent dans l’expression de la courtisane. »

Mais c’est surtout dans le livre XXXVI, consacré aux pierres, où il traite des sculpteurs ayant travaillé le marbre, que l’Encyclopédiste latin évoque la création de la mythique Cnidienne…

18% de latinistes

Le professeur Normal, qui enseigne les langues anciennes depuis de nombreuses années au lycée Enrico Macias, pas très loin de chez moi, me confie à quel point il est agacé de voir la façon dont la jeune pécore qui lui sert de ministre défend sa réformette du collège dans les journaux, particulièrement en ce qui concerne le latin et le grec. « Aujourd’hui, le latin et le grec sont suivis en option par seulement 18% de collégiens. » Et alors, s’exclame Normal. En quoi cette statistique peut-elle tenir lieu d’argument? Il déteste cette façon faussement égalitariste et vraiment technocratique de comprendre l’éducation. D’ailleurs, c’est un peu facile, ajoute-t-il, sarcastique, après avoir tout fait depuis vingt ans pour qu’il n’y ait que 18% de latinistes, de s’en étonner aujourd’hui et de s’en servir comme prétexte pour diminuer encore ce nombre!

D’après lui, la bonne façon de poser le problème est la suivante : premièrement, est-ce que c’est enrichissant pour les collégiens d’apprendre le latin (et le grec). Réponse : oui. Doublement. Parce qu’ainsi ces analphabètes connaîtront les bases de leur propre langue. Parce qu’ainsi ces décérébrés connaîtront les bases de l’humanisme. Deuxièmement, s’il n’y a aujourd’hui que 18% de collégiens qui peuvent avoir accès à cette richesse, comment faire en sorte que demain il y en ait 30%, et après demain 100%?

Pourquoi, après tout, le latin serait-il réservé aux bourgeois? Parce que les autres n’ont le droit qu’à une langue de merde et une pensée de merde? Mon collègue Normal a une solution toute simple : au lieu de transformer le latin et le grec en GloEPI-Boulga, on les rend obligatoires, pour tous les collégiens de France et de Navarre! Crac! Si on faisait ça, me demande-t-il, tu crois vraiment qu’ils parleraient plus mal le français et qu’ils seraient plus bêtes?

Je le laisse parler. Au bout d’un moment, Normal finit par se calmer. Même lui n’aime pas trop le mot « obligatoire » en matière d’éducation…

L’Aphrodite de Cnide

C’est le premier type de femme entièrement nue dans la statuaire grecque et le sujet de mon roman. L’original est perdu mais il était tellement admiré dans l’Antiquité qu’un nombre infini de copies en a été fait, en marbre, sur des pièces de monnaie, en terre cuite. On en connait aujourd’hui près de deux cents. Beaucoup sont médiocres. J’en ai vu une, ce printemps, au musée de Naples, qui, au lieu du beau visage de Phrynè, portait celui d’une matrone revêche. J’imagine que le riche propriétaire d’une des villas de Pompéi ou d’Herculanum avait fait copier la statue la plus célèbre de l’Antiquité et avait osé demander au tâcheron qu’il employait de plaquer sur le corps de la déesse de l’amour la tête de sa maîtresse ou de sa femme légitime. On a souvent l’impression que le mauvais goût est la chose du monde la mieux partagée dans notre modernité mais c’était manifestement le cas dès l’Antiquité. Pensée presque rassurante?

Ces copies permettent au moins de se faire une idée de ce que représentait la statue : Aphrodite se déshabillant avant les ablutions rituelles, posant d’une main sa tunique sur un vase de cérémonie, et plaçant l’autre devant son sexe. Soit pour le désigner, soit pour le cacher. Ce qui change totalement l’interprétation que l’on peut faire du sens de cette oeuvre énigmatique : comme on peut le lire sur le site du Louvre, « dans les copies, deux grandes familles vont émerger : l’une d’une déesse dont l’aplomb et l’attitude affirment la sérénité (la Vénus Colonna en est le plus bel exemple) ; l’autre comme la Vénus du Belvédère représente une femme nue aux aguets dont le visage inquiet exprime la crainte d’être vue par des regards indiscrets ». On comprend que ces deux variantes engagent une lecture du type créé par Praxitèle mais aussi une conception globale de la féminité. D’ailleurs, l’exemple type de la déesse montrant sereinement son sexe, la Vénus Colonna, a été pourvue, du XVIIIe s jusque dans les années 1930, d’une draperie pudique cachant ses jambes, afin de pouvoir être intégrée dans les collections du Vatican.

La Vénus Colonna

et la Vénus du Belvédère :

On voit d’ailleurs très bien qu’il ne reste, de ce qui est déjà seulement une copie, que le torse et les cuisses, tandis que les bras, les mains, les pieds, parfois la tête, ont été plus ou moins maladroitement restaurés. On ne peut donc que rêver, devant ces copies si diverses et si mutilées dans leur restauration même, à la beauté de l’original, qui tenait à la douceur du toucher de Praxitélès, et au soin qu’il avait pris de confier sa déesse nue aux pinceaux de Nicias. Les statues grecques étaient polychromes (alors que nous admirons en elles l’essentiel dépouillement de la pierre). Le plus souvent, elles étaient enduites de couleurs crues. Mais Praxitèle attachait tant de prix au rendu de la peau qu’il confiait les plus belles de ses créations aux cires subtiles d’un véritable artiste.

Je dois avouer que la plupart des copies subsistantes de la Première Femme Nue, dans l’état où elles sont, ne me procurent aucune émotion esthétique. Sauf une.

Torse de l'Aphrodite de Cnide Louvre
(Photo de Baldiri, trouvée sur « Wiki commons » )

L’une des plus modestes. Même pas entière. Ayant perdu sa tête (mais on peut l’imaginer à partir de la tête Kaufmann), ses bras et le bas  de ses jambes, elle est réduite à un torse et un dos. Mais, telle qu’elle est, ne procure-t-elle pas une impression de grâce praxitélienne? En tout cas, elle est l’une des rares qui me permettent de ressentir un peu de l’émotion des spectateurs de l’Antiquité devant les originaux créés par le maître.

 

Dos d'Aphrodite

(Photo de Daniel Lebée et Carine Deambrosis, trouvée sur le site du Louvre)

En marbre de Paros, ne mesurant qu’un mètre vingt de haut, elle est vraisemblablement l’oeuvre d’un anonyme copiste du IIe s après JC, qui n’a pas trop démérité de son modèle. J’aime bien les précisions que l’on me donne sur cette délicate copie d’un magistral chef-d’oeuvre : on pouvait la voir jusqu’en 1870 dans les jardins du Luxembourg, sans que l’on sache trop comment elle s’était retrouvée là, puisque sa provenance est inconnue. Peut-être quelques uns de ces étudiants fiévreux dont nous parle Balzac l’ont-ils admirée avant moi? En tout cas, elle est désormais au Louvre. Pour ma part, je ne l’ai découverte qu’après le visage de Phrynè.

On peut rêver aussi de la Première Femme Nue à partir des textes antiques qui nous en parlent.

Fool

Ulysse apprend que miss Shah est née de parents pakistanais et norvégiens, excusez du peu. Mais, à part une rude beauté, il ne sait pas vraiment quelle peut être l’influence de cette double origine particulièrement exotique. Notamment sur sa musique, qui sonne très anglaise, râpeuse, intense, lyrique parfois. La jeune dame viendrait de Whitburn, un patelin du nord-est de l’Angleterre qui a l’air d’avoir surtout produit avant elle une tripotée de footballeurs de Sunderland. Est-ce de l’envie de ne pas se laisser piéger dans ce trou perdu qu’elle parle dans « Ville Morose« ? Ou bien de Londres, comme le dit le premier vers? De la capitale et de ses dandys rocks faussement ténébreux, dont elle se moque aussi dans Fool? A elle, on ne la lui raconte pas. Puisqu’on la compare à PJ Harvey ou à Nick Cave, elle ne supporte pas les imitations. Il lui faut de l’authentique.  Kerouac en personne, revenu d’outre-tombe pour lui raconter ce qu’il a vu sur la route des Enfers, aurait du mal à lui arracher un sourire de commisération. Les petits minets d’aujourd’hui n’ont qu’à bien se tenir s’ils ne veulent pas se faire manger tout cru par miss Tigre. Les seuls qui trouvent grâce à ses yeux, ce sont les doux dingues et les vraies excentriques. Mais où se cachent-ils?

« You fashion words that fools lap up
And call yourself a poet
Tattooed pretense upon your skin
So everyone will know it
And I guessed your favorites one by one
And all to your surprise
From damned Nick Cave to Kerouac
They stood there side by side
You, my sweet, are a fool
You, my sweet, are plain and weak
Go let the other girls
Indulge the crap that you excrete »