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STEVANOVIC-LE-HIBOU

Lors de sa première lecture nocturne de la Neige et les Chiens, mon jeune metteur en scène Christian est fasciné aussi par le visage de l’auteur serbe qu’il découvre sur la quatrième de couverture.

Les yeux enfoncés dans l’orbe obscur des cernes presque comme sous un cache-oeil de pirate, les sourcils arqués, les deux rides profondes qui remontent en V vers les sommets du front, lui font comme un visage d’oiseau de nuit (d’autant plus que, sur la petite photo floue de 1995, ces yeux ridés sont encore enveloppés d’une chevelure drue et d’une barbe terriblement noire).

Sacrée gueule!

Certains romanciers font partie de ces oiseaux qui s’envolent la nuit pour briser la nuque des pensées nuisibles.

LA NEIGE ET LES CHIENS

En 1995, Elise et Christian lisent Christos et les Chiens, l’un des tomes de la trilogie de Vidosav Stevanovic.

L’auteur serbe y rend compte de la guerre de Yougoslavie qui, depuis plusieurs années, ravage Sarajevo, ensanglante les Balkans, déshonore l’Europe et n’est pas encore tout à fait achevée. Il entrecroise les points de vue contradictoire de différents membres d’une famille lancée dans ce conflit fratricide ; il se situe à la croisée entre un réalisme glaçant et un onirisme puissant mais cauchemardesque. Il fait courageusement son travail de romancier, en se plongeant dans le drame qui déchire son époque et sa propre âme.

Cette lecture bouleverse Christian, notamment la scène inaugurale où des miliciens font rôtir une petite fille sur une grille, comme un vulgaire et atroce barbecue.

Elle incite le jeune metteur en scène à se lancer dans l’écriture d’une pièce de théâtre et à rompre avec l’institution. On peut même dire qu’elle change sa vie (et, par contrecoup, celle de ses proches).

« Quelquefois, lui dit l’auteur serbe, venu le visiter la nuit où il découvre ce texte terrible, moi aussi, je l’ai remarqué, les livres les plus décisifs pour notre existence, nous ne les lisons qu’une seule fois, même pas en entier. C’est comme un caillou énorme qui tombe au centre d’un étang. Si violemment qu’il s’enfonce dans la vase, et qu’autour de lui commence aussitôt à s’agréger le limon qui en fera un jour une île. »

Beau compte rendu sur le blog de Tagrawla Ineqqiqi.

LA NEIGE NOIRE

Mercredi 8 mai 19

Je me remets à écrire ce matin. Je suis toujours dans la version courte de la Dérive, ce texte dans lequel je m’épuise depuis deux ans et que personne n’aime. J’écris les didascalies, qu’elles soient à la fois informatives et littéraires. Je trouve l’idée de la neige qui tombe pendant toute la fin, rouge, puis grise, puis noire, puis arc-en-ciel. Cette idée funèbre me rend heureux.