Lyon, Bordeaux, peut-être Marseille, beaucoup d’autres métropoles gagnées par les écologistes et, à Paris, une maire rose de plus en plus verte. Le citoyen Lambda jubile du résultat inespéré pour lui des municipales 2020. Mais il n’a pas besoin de moi pour nuancer, il le fait de lui-même :
Le Citoyen Lambda n’a pas pu participer à la marche pour le climat : il avait, nous dit-il, « un rendez-vous urgent avec lui-même » (au terme d’une rapide enquête, nous découvrons que c’est ainsi qu’il appelle faire une sieste).
Il avait demandé de le représenter à sa fille, Graine-de-moutarde, et à ses trois amies, en leur recommandant d’être prudentes, car il avait lu que 7500 policiers seraient lâchés dans les rues.
Ce matin, le citoyen Lambda va au marché
avec sa femme et sa fille : dans leur cabas, ils ont fourré des sacs en
tissu réutilisables, ils rapportent les sacs en papier et en plastique de la
semaine dernière. La plupart des marchands acceptent volontiers de les prendre
et leur disent même qu’ils sont prêts à tarer des boîtes en plastique (preuve
que d’autres clients depuis quelques mois font de même).
Il a installé un bar de crudités au milieu
de la cantine et les élèves, depuis deux ans, ont pris l’habitude de venir s’en
servir la quantité qu’ils désirent : plus de légumes consommés, moins de
déchets.
Il se fournit auprès de producteurs
locaux.
Sur l’un des murs, il a affiché une carte
des fermes bio de l’Ile-de-France.
Même aux quelques profs qui font passer le
bac, il sert des fruits de saison : hier des fraises, aujourd’hui des
cerises. Des fruits aussi bons qu’au marché.
Ce quadra alerte, en veste de travail
blanche, au sourire franc et à l’œil matois, c’est le cuisinier de la cantine
scolaire du lycée Monod de Clamart.
Il a un petit sourire, lorsque le professeur Normal lui déclare, sous forme de boutade, qu’il n’est pas seulement un cuisinier, mais aussi un enseignant et un politique. Il lui glisse : « Et, contrairement à ce qu’on dit, ce n’est pas plus cher.
-Ah bon ?
-Non. «
Norman ne sait pas comment ce type se débrouille mais, effectivement, son jury n’a pas payé plus cher que les collègues qui interrogent dans son propre lycée, à quelques kilomètres de là (et qui, eux, ont eu droit pendant deux jours à des raviolis ! )
Après l’avoir remercié, Normal va manger. Il croque les cerises mais il en note à peine le goût. Il est trop occupé à lire sur son smartphone l’article de Diacritik consacré à l’essai de Nathaniel Rich : Losing Earth. Perdre la terre : une histoire récente.
L’auteur américain y montre que l’humanité a perdu beaucoup de temps, peut-être même laissé passer sa chance. Son enquête sur la décennie 79-89 prouve qu’il était à ce moment-là encore possible de changer. Les scientifiques avaient lancé déjà tous les cris d’alarme et indiqué toutes les solutions mais les lobbies industriels ont réussi à persuader des establishments politiques faibles et des opinions publiques indifférentes qu’il valait mieux continuer à les laisser faire leurs profits comme si de rien n’était.
Norman Normal manque de s’étrangler avec
un noyau.
Il se dit : « Bon, s’il est déjà trop tard, désactive ce smartphone et intéresse-toi un peu à ce que tu as sous la dent. Profites-en ! Car il est bien court, le temps des cerises, même pour qui a la chance de déjeuner à la cantine du lycée Monod.
Le moindre des respects pour la Terre, que nous sommes en train de perdre, c’est de sentir son goût.
Cette impertinente de Léa Robinson me signale la chronique de Piketty parue la semaine dernière dans « Le Monde » : « Vu son titre, elle t’intéressera. Et surtout, n’oublie pas de la faire lire à ton copain Lambda ! »
J’ai vu Lambda hier devant un spritz (lui en reste à la vieille bière, parce qu’il n’aime pas les bobos, ni leurs apéritifs).
Il avait lu la chronique le jour de sa parution parce qu’à la différence de moi, il s’intéresse sérieusement à la politique : « Je ne te cache pas que c’est un article qui me fait réfléchir. D’ailleurs, Piketty n’est pas le seul. Plusieurs autres personnalités que j’estime sont en train d’exprimer la même position.
Par exemple, j’ai écouté François Ruffin sur France Inter il y a quelques jours : il a parlé de la nécessité pour l’écologie de marcher sur ses deux jambes, la jambe verte de la lutte contre le dérèglement climatique mais aussi la jambe rouge de la lutte pour plus de justice sociale. Ruffin a dit aussi : il faut consommer moins et redistribuer mieux. Chacune de ses formules m’est allée droit au cœur, à tel point que j’ai failli arrêter ma voiture le long de l’A86 pour pouvoir pleurer à mon aise. »
Je connais bien Lambda : quand il se laisse aller au sarcasme, c’est qu’il est sincèrement troublé.
Il a continué : « Je suis aussi entièrement d’accord avec l’analyse féroce que fait Piketty du macronisme, comme émanation de « la droite libérale et pro-business ». Idéologiquement, ces gens-là ne sont rien. Du vent. Les écolos ne doivent donc évidemment pas se laisser attirer par les promesses d’un acte II du quinquennat plus vert et plus social : ce n’est que du pipeau, et Edouard Philippe n’est d’ailleurs pas un flûtiste assez habile dans les ornementations vertes pour arriver à charmer son auditoire. Sincèrement, je ne crois pas que les écolos soient tentés de s’allier avec les libéraux.
« Donc idéologiquement je partage tout à fait l’analyse de Piketty : il faut être à la fois écologiste et redistributeur.
Le problème, c’est que s’allier avec la gauche, ce n’est pas que s’allier avec les principes de la gauche. C’est aussi s’allier avec les partis de la gauche. Et c’est là que les emmerdements commencent.
Tu ne trouves pas que Piketty, dans sa chronique, est presque aussi sévère avec les petites chapelles de la gauche française qu’avec la grande cathédrale vide du macronisme ? Des chapelles de plus en plus minuscules et de plus en plus rageusement accrochées à leur grand prêtre et à leur dogme respectifs ? Ras le bol de tout ça ! Les Insoumis n’ont-ils pas été décevants depuis deux ans ? Quant aux sociaux-démocrates, qu’on appelait autrefois les socialistes, qu’ont-ils fait d’autre, quand ils étaient au pouvoir, et ils l’ont été pendant longtemps, que du libéralisme ?
Moi qui me dis de gauche, je peux comprendre que les écolos ne soient pas très motivés à l’idée de passer les années suivantes empêtrés dans ce que Piketty appelle « le combat de coqs ». A lire la deuxième partie de sa chronique, tu n’as pas l’impression qu’il aurait pu la titrer : « la nécessité de l’écologie centriste » ?
Bref, on pourrait discuter encore longtemps. Le problème, c’est qu’il y a urgence. Pour moi, l’écologie est fondamentalement de gauche, elle ne doit surtout pas l’oublier, mais elle doit aussi maintenant se donner les moyens d’arriver au pouvoir, pour commencer à transformer la société (ce qui ne pourra se faire en démocratie que par étapes). Alors les partis de gauche doivent accepter de se ranger modestement (tu imagines, Mélenchon modeste ?) derrière la bannière écologiste et les écolos doivent chercher aussi à gagner la bataille du centre.
Union sacrée et changement de modèle.
A ta santé !
Tiens, tu pourras recommander à ton amie Léa de lire « Tout doit changer », les réflexions de David Cormand à la suite de l’élection européenne, qui sont presque aussi intéressantes que celles de Thomas Piketty… »
En France, aux élections européennes, les libéraux et les extrémistes de droite se disputent la préséance. Pour les uns, le seul véritable enjeu reste la croissance économique (comme dans les décennies précédentes), pour les autres, c’est la souveraineté nationale (même s’ils l’ont trahie dans le siècle précédent).
« Heureusement, dis-je au citoyen Lambda, les écologistes font une percée! C’est ce que tu voulais et c’est plus qu’encourageant! »
-Oui, me répond-il, mais ils ne sont toujours que la troisième force en France, la quatrième en Europe, et il est déjà bien tard.
-Tu râles tout le temps!
-Je ne râle pas : j’écoute, je regarde, je m’informe.
J’entends dire que, pendant ce temps, les ultra-riches du bloc capitaliste se font construire dans les coins les plus sauvages de la Nouvelle-Zélande des « doomsday bunkers » de luxe, pour échapper non seulement aux bouleversements climatiques mais aussi aux masses des anonymes qui, après les avoir laissés dérégler le climat, auront, c’est bien normal, à subir les conséquences de leur aveuglement.
C’est ce qu’Al i Baddou, rappportant le documentaire de Vice, qui lui-même prolonge un article du New Yorker, appelle une « assurance apocalypse ».
Ce qu’on pourrait appeler aussi la théorie du « non-ruissellement », où les ultra-riches se donnent les moyens de passer entre les gouttes des déluges qu’ils ont provoqués, tandis que les ultra-pauvres et les lambdas comme toi et moi finissent noyés.
Ou bien le syndrome de Noé : non pas le dernier des hommes justes mais le premier des capitalistes.
Pendant ce temps, les ultra-riches qui sévissent dans le bloc communiste se font construire des bulles pour isoler leurs écoles internationales, leurs résidences et leurs clubs de sport du mori-kongqi, « l’airpocalypse », que les pékins pékinois de base sont obligés de respirer.
Donc, je ne râle pas, conclut Lambda, je me demande simplement s’il ne vaut pas mieux faire confiance aux ultra-riches de tous les bords qu’aux résultats des élections démocratiques pour savoir où se situe le seul véritable enjeu.
A la suite de mon précédent billet, mon amie l’historienne Léa Robinson m’envoie un article sur la stratégie de Jadot : «Dites donc, vous deux, qui êtes comme moi de gauche, cela ne vous pose pas un problème que Jadot se veuille au centre ? »
Je me suis empressé
de le faire lire à Lambda pour voir ce qu’il allait dire. Il a réfléchi et m’a
répondu : « Oui. Bon. Et alors ?
-Comment ça, et alors,
enfin, la gauche !
-D’abord, soyons cohérent : s’il y a urgence climatique, elle l’emporte largement sur la nécessité du clivage politique.
-C’est vrai.
-Ensuite, on ne va
pas se plaindre de voir les écolos sortir de leur petite chapelle et tenter de
s’installer en force au centre du jeu politique.
-Pas faux.
-Enfin, si nous
voulons vraiment que la société française fasse sa conversion, étant donné que la
démocratie ne nous offre pas de moyen radical de supprimer tous les gens du centre
et tous les gens de droite, il va peut-être falloir s’adresser à eux aussi, non ?
-J’ai bien l’impression
que si.
-C’est un enjeu
qui dépasse les Européennes : l’écologie doit prendre le pouvoir avant qu’il
ne soit trop tard ; la gauche à elle toute seule est-elle capable de le
lui permettre ?
-J’ai bien peur
que non.
-Donc, il faut en
tirer les conclusions. Pour toutes ces raisons, moi qui me targue d’être de
gauche, je suis prêt à voter pour un écolo qui se veut au centre. Ne serait-ce
que pour le laisser aller au bout de cette stratégie et voir si elle
fonctionne. A charge pour nous, ensuite, les gens de gauche, de peser
suffisamment fort à l’intérieur de l’écologie pour qu’elle n’oublie pas que la
fin du monde se joue à chaque fin de mois.
-Là, d’accord !
Il a ajouté :
« Et puis, imagine, mon pote, si jamais Jadot fait un bon score dimanche
soir, ce sera quand même plaisant que les journalistes ne puissent pas se
gargariser uniquement du mano a mano des deux ringards et de l’éparpillement de
la gauche ?
-Oh la pauvre…
-Oui, la pauvre gauche, que j’aime autant que toi mais dont je ne finis plus de me demander si elle est la plus intelligente ou la plus bête du monde. Peut-être les deux? »
La marche
organisée dans le monde entier par 350.org et à laquelle une initiative lancée
par un anonyme à la suite de la démission de Nicolas Hulot a donné en France un
retentissement beaucoup plus grand qu’annoncé : une foule dense et nombreuse
qui surprend le Citoyen Lambda. D’après lui, plus proche des 50 000 estimé
par les organisateurs que des 12 000 dénombrés par la police. Le simple
rassemblement vers l’Hôtel de Ville s’est transformé en marche vers la
République.
Il est enchanté par la diversité et l’inventivité des slogans :
Arrête de niquer ta mer
Les capitalistes vivent au-dessus de nos moyens
Et plein d’autres qu’il a oubliés.
Celui qu’il a trouvé le plus beau : « Et si nous battions des records de chaleur humaine ? », était brandi par une jolie brune à la peau sombre juchée sur les épaules de son copain, comme la fameuse égérie révolutionnaire de 68 photographiée par Gilles Caron. Lambda ne parvient à en prendre à l’arrachée qu’une photo surex mais à côté de lui, un photographe professionnel fait beaucoup mieux : la fille se tourne vers lui obligeamment pour qu’il puisse la prendre et il la remercie d’un sourire.
L’image de
ces petites filles juchées sur les épaules paternelles, qui brandissaient fièrement à deux une
banderole «Pensez à nous » ; mais, la lassitude venant, elles avaient
appuyé la pancarte sur la tête de leurs pères, posé leurs mentons sur la
pancarte et elles se chamaillaient un peu.
Beaucoup de ces slogans inventifs étaient écrits sur de simples pancartes en carton (comme celle de sa fille Graine-de-moutarde : « Marre de vos salades ! »). Mais très peu étaient repris par la foule, à part, dans le coin où ils ont décidé de marcher :
« Et un et deux et trois degrés C’est un crime contre l’humanité ! »
scandé par
un petit groupe plus organisé que les autres.
En arrivant à la manif, Lambda s’est dit : « Bizarre, une manif presque silencieuse ». Ce silence des voix contrastait avec le vacarme joyeux des slogans écrits sur les pancartes en carton. Toute cette énergie individuelles manquait de micros, d’amplis, de caisse de résonance, d’organisation collective. La multiplicité et la diversité de ces dizaines de milliers de désirs pressants d’agir et de se faire entendre, comment peut-elle se fédérer, s’organiser, parler d’une seule voix ?
Comment tous crier assez fort un message assez unanime pour obliger les décideurs à l’entendre, alors même qu’ils se bouchent les oreilles ?
Comment réussir à casser les oreilles de ceux qui n’ont aucune envie d’entendre ?
L’une des images qui me restent du film, c’est un duo d’Anglaises sexagénaires et rigolotes. Elles racontent comment, un jour où elles venaient de voir un documentaire sur l’état désastreux de la planète, elles se sont dit : « Well, on va commencer par ici. Par ce café, par ce quartier. » Et avec une bonne poignée d’autres Anglais farfelus, elles ont commencé à investir le moindre petit espace abandonné de leur cité pour le transformer en jardin de la biodiversité. Elles en ont même installé un devant le commissariat, où les gens peuvent venir ramasser des framboises plutôt que des prunes.
Parmi tous les personnages passionnants qui sont interviewés, je me souviens de ces deux modestes Britanniques, parce qu’elles m’ont fait soudain penser à la fin de Candide que je venais d’expliquer à mes 2ndes. Le moment où Candide coupe enfin la parole à ce ratiocineur de Pangloss : « Cela est bien dit mais il faut cultiver notre jardin. »
Oui, ces deux Anglaises et les autres personnages du film ont commencé à donner son sens le plus actuel à la célèbre formule de Voltaire en se retroussant les manches pour, au sens propre du terme, cultiver notre jardin. Quant à nous, il ne faudra sûrement pas trop tarder à s’y mettre.
Dans Demain, on apprend plein de choses sur aujourd’hui, sur le mécanisme de la monnaie aussi bien que sur les résultats étonnants de la permaculture.
La dernière séquence sur l’école en Finlande m’a paru un peu idyllique mais elle m’a fait rêver quand même.
Le site du film est très intéressant, notamment la rubrique « Les solutions ». On y découvre pas mal de liens intéressants pour commencer à modifier peu à peu ses habitudes, à changer de supermarché et même de banque. Je pense que la BNP n’a qu’à bien se tenir.
Mais oui, bien sûr, ça commencera comme ça. Par un retour aux sources!
II.Se blottiner : se blottir contre une poitrine fleurie pour y butiner le futur miel du plaisir.
Et puis aussi y potiner, en mangeant des tartines (ou des pains au chocolat).
III.Une seule règle :
NE JAMAIS SE RELIRE
(avant d’être allé au bout du premier jet)
IV.Il a envie de tout envoyer promener, celle qui le trahit sans oser le lui dire, ses enfants qu’il adore, ses projets qui lui pèsent. Sur un coup de tête, il cherche le numéro de la CGM et, d’une traite, il propose à la personne qui décroche de le laisser s’embarquer sur un cargo, où il payera son tour du monde en déchargeant dans chaque port les containers. C’est surtout ça, qui l’attire, non pas le voyage, mais le travail du docker, pour tout oublier. Retour à ses sources actives. A Jack London. Son interlocutrice, une dame peut-être un peu âgée, éclate gentiment de rire : on n’est plus au XIXe, cher monsieur, mais au XXIe, elle comprend très bien son projet romantique mais non, impossible de travailler pour payer sa traversée ; en revanche, il pourrait louer une cabine libre, il en reste parfois.
Alors qu’il s’enfonçait dans la déprime, elle le rappelle quelques jours plus tard : lui propose les Antilles 14 jours, ou Buenos-Aires, 45 jours. Il choisit les Antilles, parce que c’est la première fois qu’il fait ce genre de choses. Et puis il n’est pas sûr qu’il pourra laisser tomber ses enfants plus longtemps, ou plutôt qu’il pourra vivre plus longtemps sans eux. Quant à elle, il ne sait pas. Il lui dit seulement qu’il s’en va, pendant quinze jours, sans lui dire où. Elle le regarde avec curiosité, elle lui pose une ou deux questions mais elle n’insiste pas. Il en est soulagé et déçu. Il paye sa cabine mille euros mais il laisse son ordinateur et son téléphone chez lui. Juste de quoi lire et de quoi écrire à la main. Pour cela au moins il pourra se sentir revenu au XIXe siècle.
Personne ne sait qu’il s’est embarqué. Personne au monde ne peut le joindre pendant quinze jours.
Il mange à la table des officiers, avec lesquels il sympathise.
Il regarde la mer. Il se perd dans le spectacle de la mer. Il se retrouve.
Le plus bizarre, c’est qu’il ne s’ennuie jamais.
Quand il arrive aux Antilles, il passe deux jours sur la plage, mais il se sent totalement déplacé. Autant qu’il se sentait replacé face à la mer. Alors, fidèle à son projet de retour aux sources, il s’interdit de téléphoner mais il se hâte de rentrer. En avion cette fois. Il a laissé grandir en lui le désir fou de les revoir, et de la retrouver elle. Il se demande s’il leur a manqué autant qu’ils lui ont manqué. Il se demande s’il a bien fait de la laisser éprouver pendant quinze jours ce que serait vraiment la vie sans lui, et pas cette existence misérable où l’on vit l’un à côté de l’autre en rêvant de quelqu’un d’autre.
Lui, il a bien fait.
Se perdre et se retrouver face à la mer : pas exactement la même chose que de décharger des containers sur un port, mais presque aussi intense. Ce serait comme décharger tous les containers inutiles pour se trouver réduit à son essentielle coque.
V.Léonardo Dicaprio au Forum économique de Davos. Après avoir fait exploser la folie du libéralisme dans l’inénarrable The Wolf of Wall Street, il l’exprime ici en mots.
Peut-être dommage qu’on soit obligé de confier à des acteurs le souci d’être la conscience de la planète, mais ce qu’il dit est bien dit. Et c’est jubilatoire qu’un type se serve de sa notoriété pour s’introduire dans le bunker doré de Davos et dire leur fait aux insensés surprotégés qui nous gouvernent.
VI.QUOI, TU NE T’ES PAS ENCORE LANCE ?J’AI DIT « NE JAMAIS SE RELIRE » ! N’OUBLIE PAS QUE JE TE SURVEILLE ET QUE SI TU CONTINUES A TE SURVEILLER TU VAS AVOIR AFFAIRE A MOI !
VII.La cour de Babel
J’aime regarder mes élèves regarder les élèves de ce documentaire.
VIII.Oh ce matin, un peu de neige dans le jardin !
J’ai envie de dire : comme avant ! Mais je ne suis pas sûr que les habitants de Washington partageraient ce sentiment de nostalgie.
IX La visite de la vieille dame
Là aussi, retour aux sources pour Omar Porras et son Teatro Malandro : ils montent pour la troisième fois depuis le début de leur histoire en 1993 la pièce de Dürrenmatt. Ce qui me permet de la découvrir. Et je suis complètement bluffé (comme d’habitude) par le travail jubilatoire du maître colombien. La pièce est une satire grinçante (mais peut-être un peu vieillie ?) des valeurs humanistes brandies par ce village suisse emblématique de l’Europe, et par les garants de ses institutions, le maire, le prêtre, le policier, le maître d’école (je dis « peut-être un peu vieillie » parce qu’aujourd’hui on se sent plus le besoin de restaurer ces institutions que de les dézinguer).
Mais Porras, par l’inventivité de sa mise en scène, le travail sur le masques, la gestuelle, la musique, les lumières, l’élégance des changements de décor, l’emmène dans une autre direction : une farce rythmée, lumineuse, et cauchemardesque, celle d’un état très actuel du monde, où l’argent achète tout et où les médias ne sont plus les dupes mais les co-organisateurs de ce dévoiement généralisé des valeurs (si Porras passe du rôle de la Vieille Dame à celui du Journaliste, n’est-ce pas pour nous dire qu’il s’agit de la même instance à l’œuvre ?). Cette claudicante et hiératique Vieille Dame, dont le corps n’est plus qu’un assemblage de prothèses et dont ne reste intacte que la volonté vengeresse de « transformer le monde en bordel », ne devient-elle pas une allégorie du capitalisme, agonisant depuis des décennies mais qui va se révéler encore capable de précipiter sous nos yeux le monde à sa perte ?
En plus, c’est drôle. D’où les applaudissements assez surprenants, le soir où j’ai vu la pièce au Théâtre 71, de la partie la plus adolescente du public, lorsque le malheureux Ill se fait abattre sur scène ? Une réaction d’adhésion à l’ordre instauré par la Vieille Dame qui m’a déconcerté, c’est le moins qu’on puisse dire.
X. Une fille qui chante seule dans la cour de récréation.
XI. Leïla Alaoui s’était rendue à Ouagadougou pour réaliser un documentaire sur les violences faites aux femmes en Afrique, à la demande d’Amnesty International. C’est là qu’elle a été tuée, dans l’attentat du 15 janvier.
Elle était une photographe très prometteuse. Elle avait 33 ans. Née à Paris d’un riche homme d’affaire marocain et d’une photographe française, elle avait fait ses études à New York. Sans doute aurait-elle pu se contenter d’appartenir à une sorte de jet-set. Mais son oeuvre révélait un regard très engagé et beaucoup de sensibilité, notamment au thème des migrants et des frontières. Une volonté affirmée de ne pas oublier ses origines et de lutter contre le néo-colonialisme pour témoigner sur son temps. Une femme libre, intelligente, artiste, qui se situait aux points d’intersection entre les deux cultures et qui avait quelque chose d’incisif à dire sur les deux : même si elle n’était sans doute pas une cible délibérée, tout ceci lui faisait quand même beaucoup de raisons d’être tuée par les islamistes.
De l’un de ses derniers projets, « Les Marocains », encore exposé à Paris le jour de sa mort, elle écrivait : « Les photographes utilisent souvent le Maroc comme cadre pour photographier des Occidentaux, dès lors qu’ils souhaitent donner une impression de glamour, en reléguant la population locale dans une image de rusticité et de folklore et en perpétuant de ce fait le regard condescendant de l’orientaliste. Il s’agissait pour moi de contrebalancer ce regard en adoptant pour mes portraits des techniques de studio analogues à celles de photographes tels que Richard Avedon dans sa série “In the American West”, qui montrent des sujets farouchement autonomes et d’une grande élégance, tout en mettant à jour la fierté et la dignité innées de chaque individu. »
Leïla Alaoui était belle, et ceci contribue sans doute à notre émotion. Sur certaines photos, elle a même un air de star de cinéma glamour. Je préfère celle-ci, où l’on voit la photographe poser à côté de son œuvre.
Je la rapproche d’un portait de Marocaine pour m’interroger sur ces deux images de femmes, l’artiste et son sujet.
D’un côté une femme moderne, occidentalisée, et de l’autre une femme traditionnelle. N’y aurait-il pas un point commun : ne ressent-on pas chez les deux une même fierté, celle dont l’artiste nous parle dans la présentation de son exposition ?
De Bernard Maris à Leila Alaoui : ces terroristes ne détruisent pas seulement ce qu’il y a de plus digne dans notre culture, mais aussi dans la leur. Ce doit être ça, le but : un monde dans lequel ne resteraient plus que les brutes d’un camp et de l’autre, face à face. Donald Trump face à Abou Bakr Al-Baghdadi : le monde de l’intelligence et de l’ouverture dont on rêve.