L’ILLUSION DE L’ECOLOGIE CENTRISTE?

Vendredi 14 juin 19

Cette impertinente de Léa Robinson me signale la chronique de Piketty parue la semaine dernière dans « Le Monde » : « Vu son titre, elle t’intéressera. Et surtout, n’oublie pas de la faire lire à ton copain Lambda ! »

J’ai vu Lambda hier devant un spritz (lui en reste à la vieille bière, parce qu’il n’aime pas les bobos, ni leurs apéritifs).

Il avait lu la chronique le jour de sa parution parce qu’à la différence de moi, il s’intéresse sérieusement à la politique : « Je ne te cache pas que c’est un article qui me fait réfléchir. D’ailleurs, Piketty n’est pas le seul. Plusieurs autres personnalités que j’estime sont en train d’exprimer la même position.

Par exemple, j’ai écouté François Ruffin sur France Inter il y a quelques jours : il a parlé de la nécessité pour l’écologie de marcher sur ses deux jambes, la jambe verte de la lutte contre le dérèglement climatique mais aussi la jambe rouge de la lutte pour plus de justice sociale. Ruffin a dit aussi : il faut consommer moins et redistribuer mieux. Chacune de ses formules m’est allée droit au cœur, à tel point que j’ai failli arrêter ma voiture le long de l’A86 pour pouvoir pleurer à mon aise. »

Je connais bien Lambda : quand il se laisse aller au sarcasme, c’est qu’il est sincèrement troublé.

Il a continué : « Je suis aussi entièrement d’accord avec l’analyse féroce que fait Piketty du macronisme, comme émanation de « la droite libérale et pro-business ». Idéologiquement, ces gens-là ne sont rien. Du vent. Les écolos ne doivent donc évidemment pas se laisser attirer par les promesses d’un acte II du quinquennat plus vert et plus social : ce n’est que du pipeau, et Edouard Philippe n’est d’ailleurs pas un flûtiste assez habile dans les ornementations vertes pour arriver à charmer son auditoire. Sincèrement, je ne crois pas que les écolos soient tentés de s’allier avec les libéraux.

 « Donc idéologiquement je partage tout à fait l’analyse de Piketty : il faut être à la fois écologiste et redistributeur.

Le problème, c’est que s’allier avec la gauche, ce n’est pas que s’allier avec les principes de la gauche. C’est aussi s’allier avec les partis de la gauche. Et c’est là que les emmerdements commencent.

Tu ne trouves pas que Piketty, dans sa chronique, est presque aussi sévère avec les petites chapelles de la gauche française qu’avec la grande cathédrale vide du macronisme ? Des chapelles de plus en plus minuscules et de plus en plus rageusement accrochées à leur grand prêtre et à leur dogme respectifs ? Ras le bol de tout ça ! Les Insoumis n’ont-ils pas été décevants depuis deux ans ? Quant aux sociaux-démocrates, qu’on appelait autrefois les socialistes, qu’ont-ils fait d’autre, quand ils étaient au pouvoir, et ils l’ont été pendant longtemps, que du libéralisme ?

Moi qui me dis de gauche, je peux comprendre que les écolos ne soient pas très motivés à l’idée de passer les années suivantes empêtrés dans ce que Piketty appelle « le combat de coqs ». A lire la deuxième partie de sa chronique, tu n’as pas l’impression qu’il aurait pu la titrer : « la nécessité de l’écologie centriste » ?  

Bref, on pourrait discuter encore longtemps. Le problème, c’est qu’il y a urgence. Pour moi, l’écologie est fondamentalement de gauche, elle ne doit surtout pas l’oublier, mais elle doit aussi maintenant se donner les moyens d’arriver au pouvoir, pour commencer à transformer la société (ce qui ne pourra se faire en démocratie que par étapes). Alors les partis de gauche doivent accepter de se ranger modestement (tu imagines, Mélenchon modeste ?) derrière la bannière écologiste et les écolos doivent chercher aussi à gagner la bataille du centre.

Union sacrée et changement de modèle.

A ta santé !

Tiens, tu pourras recommander à ton amie Léa de lire « Tout doit changer », les réflexions de David Cormand à la suite de l’élection européenne, qui sont presque aussi intéressantes que celles de Thomas Piketty… »