Lundi 11 juin 19
Souvent pour s’amuser les hommes d’équipage
Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers
« Ce souvenir de son voyage de jeunesse en 1841, un malheureux albatros maltraité par des marins, Baudelaire le reprend dans ce poème de 1861. Il commence par le raconter dans les trois premiers quatrains, et puis il le transforme, dans le dernier, en un symbole de la condition du poète :
Le poète est semblable au prince des nuées .
Vous saissez la façon dont un poète travaille sur son matériau autobiographique ?
Il y cherche quelques images fulgurantes, dont peut-être lui-même ne comprend pas exactement pourquoi elles l’ont frappé, pourquoi elles encombrent encore sa mémoire vingt ans après. Et puis, en les approfondissant, en les travaillant par les instruments de son art (ici la comparaison et l’antithèse), il parvient à en exprimer la signification, à en faire une image essentielle de son rapport au monde :
Ses ailes de géant l’empêchent de marcher.
Bref, le poète fait d’une simple anecdote de voyage une vision existentielle.
Donc, si vous voulez être poète, ne mettez surtout pas vos idées en vers (en vous efforçant de faire rimer des mots abstraits qui ne résonnent pas), mais cherchez des images. Soyez à l’affut de ces images indéchiffrables qui vous stupéfient dans votre propre vie, explorez-les et alors la musique viendra, les mots se mettront à vibrer de reconnaissance.
Car la poésie, c’est d’abord le concret énigmatique d’une image.
Pas des échos sonores mais une analogie secrète. «
En retrouvant ce corrigé d’un devoir ancien sur le poème rebattu de Baudelaire, je suis stupéfait : j’ai l’impression que ces lignes n’étaient pas destinées à mes élèves d’alors (je ne suis même pas sûr de les leur avoir distribuées) mais à moi aujourd’hui.