22-26 juillet 19
Paris-Rambouillet

La coulée verte, familière. Puis quelques kilomètres un peu confus jusqu’à Saint-Rémy (en fait, il vaut mieux prendre le RER pour commencer ici, où le parcours devient vraiment bucolique). Les longues traversées fraîches de la forêt de Rambouillet, et l’arrivée au camping Huttopia, niché dans la forêt au bord d’un étang.
Rambouillet-Chartres
Etape encore vallonnée.
Maintenon ne vaut que par le beau château ordonné et paisible de l’épouse secrète. Le reste de la ville est livré à des masses de bagnoles particulièrement importunes un jour de chaleur. Impression de faire une halte dans les foutues années 70.

A Chartres, on peut se dispenser du camping (qui, malgré son nom bucolique, « Au bord de l’Eure », a plus de moustiques que de charme). En revanche, halte indispensable à l’aquapark « l’Odyssée », où même la foule ne nous empêche pas de faire un grand plein de fraîcheur. Et puis il y a des super toboggans !
Le soir, nous sommes tellement KO que nous n’avons plus le courage d’aller admirer la façade illuminée de la cathédrale.
Nuit à la belle étoile.
Chartres-Illiers
Il fait 41° !
De quoi faire un malaise, n’est-ce pas, les bras en croix dans les plaines de la Beauce !
Le curé d’Illiers, qui nous trouve en train de pique-niquer à l’ombre de son église, nous invite à finir notre repas à l’intérieur pour nous rafraîchir. D’après lui, Dieu aime ceux qui aiment les tomates et les olives (nous lui en proposons, c’est son péché mignon). Malgré l’interdiction de la municipalité, dont ce curé de choc se plait à braver les oukases, il nous fait grimper à l’étage par un escalier branlant, pour admirer les peintures XIXe de la charpente, qu’il nous commente en détail.

Après avoir déclaré pour nous choquer que les admirateurs de Proust sont des « idolâtres », il nous indique la travée où le petit Marcel venait s’asseoir avec sa grand-mère, pour que nous puissions, pendant quelques instants, voir le monde du point de vue du Narrateur.

Même si ce n’est pas du Proust, il nous donne à lire les réflexions bien senties qu’il a pondues dans le bulletin paroissial sur les affaires de pédophilie à l’intérieur de l’Eglise. Nous serons les derniers touristes à qui il aura fait visiter l’édifice, car il est sur le point de changer de paroisse. Bon vent à toi, don Camillo d’Illiers ! Le sort de l’église catholique m’indiffère depuis longtemps, mais, si elle s’appuyait plus sur des prêtres de ton acabit, peut-être ses affaires n’iraient-elles pas plus mal ?
Dans la paisible maison de la tante Léonie, la seule pièce un peu fraîche est la salle d’exposition consacrée au prix Goncourt 1919 obtenu par A l’ombre des jeunes filles en fleurs. Nous nous y endormons à l’ombre du fameux cliché de Proust sur son lit de mort pris par Man Ray. Au réveil, nous prenons des photos moins funèbres de nos poses avachies, en chahutant si bien que l’adolescente languide qui garde ce musée désert est obligée de venir nous rappeler à l’ordre. Nos enfants se font une joie de nous signifier que nous venons de profaner un sanctuaire.
Le dieu de la littérature nous punit aussitôt : nous décidons de prendre le train pour Nogent-le-Rotrou et nous découvrons… qu’il est supprimé : le conducteur a fait un malaise. Le jeune homme à qui l’on a confié cette gare, peut-être parce qu’il est le dernier employé valide de la SNCF dans toute la région, nous propose de l’eau et du café, ou n’importe quoi pour se faire pardonner. C’est «A la recherche du train perdu » : nous attendons des heures un car hypothétique, en espérant que le chauffeur voudra bien prendre nos cinq vélos. Ce qu’il fait. Dans la France de province, on a gardé des valeurs : on n’abandonne pas les familles en déshérence.
Nogent-le-Rotrou
Journée de repos pour laisser passer l’orage.
Hôtel du Lion d’Or, sur la place de l’Hôtel de Ville, désuet mais charmant. La dame nous installe dans deux chambres qui communiquent par la terrasse et d’où nous voyons les toits, comme en Italie.
En passant dans la rue de la Herse, une voix de fumeuse nous hèle depuis la terrasse d’un café : « Entrez ici, vous ne le regretterez pas ! ». Nous faisons bien d’écouter l’appel rauque du hasard : le café associatif du « Circonflexe » est un lieu comme je les aime, plusieurs salles remplies de bouquins jusqu’à ras bord, dans lequel des gens de tout âge viennent boire des coups mais aussi suivre des activités, de l’aide au devoir… jusqu’au tricot.

Elisabeth, la responsable, est tellement passionnée qu’elle énumère les projets de son assoc au lieu de prendre notre commande. Elle nous apprend que le Circonflexe vient de recevoir une subvention de la municipalité et d’organiser un festival du thriller. Cela m’amuse, parce que ce lieu dans cette ville évoque tout sauf le thriller, mais l’enthousiasme de la petite équipe est vraiment rafraichissant. L’association a pu embaucher récemment à la cuisine une jeune en fin d’apprentissage (fan de Justin Bieber mais bonne pâtissière). Elisabeth précise : « Et nous l’avons embauchée en CDI !». En écoutant la fierté dans sa voix, je pense à toutes ces entreprises si performantes qui multiplient les contrats précaires pour pouvoir mieux rétribuer leurs actionnaires et qui tentent de nous persuader, dans les medias dont elles ont pris le contrôle, que c’est cela désormais qu’il faut appeler le progrès économique et social. Moi, je crois, au contraire, que c’est Elisabeth et son gang d’amies pacifiques qui sont dans le vrai : elles ont des raisons d’être fières d’accrocher toutes ensemble un convivial circonflexe au-dessus du nom de Nôgent.

Sous un délicieux crachin, nous allons visiter l’impressionnant château de la dynastie des Rotrou, qui n’est plus assiégé que par des moutons. L’heure de la fermeture sonne mais la gardienne du musée est elle aussi tellement passionnée qu’elle continue, au lieu de nous virer, à nous donner des explications.
Bref, Nogent-le-Rotrou, ce n’est pas un trou. Nous envisageons même de changer les paroles de notre hymne national.