Bénédicte, la libraire d’Actes Sud, et Myriam, mon éditrice, m’ont fait découvrir ce premier roman de Peter Heller, paru en 2012 sous le titre The Dog Stars et publié en 2013 chez Babel. Je ne regrette pas d’avoir suivi leur conseil, car j’ai adoré, comme beaucoup d’autres lecteurs avant moi, ce roman d’anticipation bizarre et prenant, à la fois réaliste et poétique. D’un point de vue personnel, ce hasard tombait bien : il m’a permis de lancer idéalement mon exploration des imaginaires de fin du monde.
Si l’on raconte l’histoire, on a l’impression de se retrouver dans un univers à la Mad Max. Cela se passe au fin fond du Colorado 9 ans après la pandémie qui a entraîné la Fin de Tout. On suit l’un des rescapés, Hig. Il survit sur un ancien aéroport, et fait équipe avec Bangley, une sorte d’ancien Marine taiseux et surarmé. Ils ne sont pas vraiment copains mais ils se complètent bien : Hig fait des vols de repérage sur un vieux Cessna et Bangley élimine impitoyablement tous les rôdeurs qui se présentent. Hig a un chien aussi, Jasper (beaucoup plus doué que Bangley pour les relations humaines). Et des souvenirs. On est donc dans un monde d’après la civilisation, où rien ne reste de l’armature de la société, où la vie est limitée à la survie et à des scènes d’affrontement hyperviolentes entre rescapés. Mais, à la différence de Bangley, Hig ne s’en satisfait pas : il a envie d’aller voir ailleurs s’il reste des humains…
Car l’originalité du roman, c’est la personnalité du narrateur. Pêcheur, chasseur, pilote d’avion, jardinier, charpentier, amateur de poésie chinoise. D’une drôlerie, d’une mélancolie, d’une poésie folles. Déjà décalé dans le monde d’aujourd’hui, il l’est encore plus dans ce monde apocalyptique de demain. A la différence de Bangley, il croit encore à la « connexion », avec les choses, avec les êtres, les animaux, les humains inconnus. Je te laisse découvrir de quelle manière farfelue, erratique et profonde, il va découvrir de quoi et de qui réinventer le monde. C’est ce mélange détonnant entre un univers hyperviolent et un narrateur poète qui fait le charme puissant de ce premier roman. Brautigan qui réécrirait Mad Max, si tu vois ce que je veux dire.
Et puis un style, magnifiquement rendu par la traduction de Céline Leroy. Un ton, une voix, une attention hyperaigüe aux détails et des embardées dans l’imaginaire, une façon très curieuse de noter les dialogues ou de laisser les phrases en l’air, un mélange entre le registre de la conversation et d’autres beaucoup plus raffinés, l’efficacité des scènes d’action et la façon de prendre son temps pour décrire la netteté rassurantes des paysages apocalyptiques vus d’avion, la pêche en pleine rivière ou la résilience des forêts. De belles scènes d’amour aussi, que j’ai appréciées en amateur, bien crues et bien lyriques. Tout ce que j’aime dans la grande littérature américaine : le lyrisme du réel.
Tu peux lire aussi la critique de François Xavier sur le « Salon Littéraire », aussi enthousiaste que moi. Je n’oublierai pas La constellation du Chien, et j’attends avec impatience de lire son deuxième roman, The painter, dont la traduction, si j’ai bien compris, doit sortir cet automne.