Mercredi 12 février 20
Délicieuse matinée de soleil passée dans le Colisée, quelques heures de printemps en plein hiver. Les yeux fermés au milieu des touristes, j’en oublie même de prendre des photos. Je suis bien le seul.
C’est moins le site qui m’intéresse que l’exposition présentée au premier étage (et qui n’existait pas la dernière fois que je suis venu, il y une dizaine d’années). Elle permet de rêver à la réutilisation de l’amphithéâtre selon les époques.
Au Moyen-Age, on l’habite, un petit village se bâtit de brique et de broc à l’intérieur, des échoppes d’artisans, notamment des bouchers qui continuent à y découper des animaux (même s’ils viennent de moins loin que ceux qui étaient massacrés par milliers pendant les boucheries des jeux de l’Empire). Puis il devient la citadelle fortifiée de la puissante famille des Frangipani (qui décident ensuite de se racheter en se mettant à fourrer les galettes de tous leurs voisins).
A la Renaissance Brueghel l’a dans l’oeil quand il représente les dédales verticaux de la Grande Tour de Babel.

Le bâtiment réel, lui, n’est plus pendant longtemps qu’un repaire de marginaux et de voleurs, ah ! les spectacles qu’éclairaient la lune au-dessus du Colisée devaient être terribles à cette époque !
Au XVIIIe siècle, l’Eglise reprend les choses en main, on ne s’y agenouille plus que pour parcourir les stations d’un chemin de croix, on projette d’y construire une église colossale, tandis qu’Hubert Robert y dessine les derniers ermites réfugiés sous les arcades à moitié écroulées, où ils reçoivent la visite d’élégantes pécheresses en pleurs. Au XIXe les peintres romantiques, comme l’Américain Thomas Cole, viennent y rêver sur la décadence des civilisations :

Dans les années 30, c’est l’Etat fasciste qui reprend les choses en main. On rase les ruelles environnantes et l’on trace la rectiligne Via dei Fori Imperiali, pour en faire le cadre des parades censées montrer les fascistes en dignes successeurs des légionnaires romains et Mussolini en Auguste (pas le clown, l’empereur).

Chaque période se gonfle de ses petitesses face à l’immense bâtiment vide. Ces ruines sont un excellent révélateur de failles.
Et aujourd’hui alors ?
Hé bien, aujourd’hui on y fait à la fois de l’historiographie et du tourisme de masse, de la science et du bizness de pacotille.

Seules les mouettes, perchées tout là-haut sur les derniers gradins, continuent de poser sur le changeant spectacle humain le même regard blasé.