Mercredi 26 février 20

Christophe Rauck a monté ce spectacle avec la 5ième promotion de l’Ecole de Lille. Elle est composée de quatorze comédiens mais aussi de deux auteurs : ils ont suivi un cursus parallèle mais se sont retrouvés sur des projets écrits par les uns et joués par les autres. Ce devait être une chance incroyable, aussi bien pour les auteurs que pour les comédiens. Si j’avais vingt ans, je sais où j’irais.
Pour cette présentation de fin de cycle, les jeunes auteurs ont fabriqué un montage à partir du Pays Lointain, la toute dernière pièce de Lagarce, que je ne connaissais pas. Quelques mois avant sa mort, il y reprend la trame de Juste la fin du monde : Louis revient toujours dans sa famille mais cette fois il décide d’être accompagné de sa famille choisie, ses amis et ses morts. Idée magnifique. Les auteurs y ont mêlé des extraits d’autres textes, le Journal où l’on entend Lagarce en metteur en scène, Nous, les héros pour le personnage décalé de la Comédienne, J’étais dans ma maison et j’attendais que la pluie vienne. Cela devient aussi un spectacle sur un spectacle en train de se faire.

Parmi les quatorze comédiens, Etienne Toqué, qui était dans l’option théâtre du lycée il y a déjà huit ans et qui revient aujourd’hui au Théâtre 71. Après la représentation, il me confie qu’à cette époque il serait sûrement sorti du système scolaire s’il n’y avait pas eu le théâtre. Je me souvenais de lui comme d’un adolescent doué, spontanément juste sur le plateau, mais dilettante. Nous nous disions avec Manu F, le comédien avec lequel je travaillais à l’époque : « Etienne va continuer le théâtre, bien sûr, mais ce qui peut l’empêcher d’y réussir, c’est lui ». Je retrouve un jeune homme, à la fine moustache, d’une élégance frêle mais tenue, très présent même dans sa façon d’être silencieux sur le plateau et d’écouter. Plus de dilettantisme, de la fragilité dense. Dans son école de théâtre, il a découvert la rigueur, comme seul moyen d’atteindre à une certaine exigence. C’est beau de voir un jeune homme non pas réaliser mais dépasser les promesses de l’adolescent.
Ces jeunes comédiens viennent volontiers discuter avec les élèves actuels de l’option, pour recueillir leur avis sur le spectacle, mais aussi leur poser des questions sur ce que nous sommes en train de préparer. Ils nous parlent avec enthousiasme de leur expérience à l’école, d’un voyage d’étude en Russie. D’un autre voyage, un mois sans téléphone, dont ils devaient revenir avec une proposition.
En racontant cette histoire d’immense solitude vécue par un homme de théâtre de la génération précédente (la mienne), ces jeunes gens d’aujourd’hui ont la chance de prolonger leur aventure de groupe, deux ans après leur sortie de l’école. J’espère qu’ils profitent de chaque instant, sur le plateau et dans les foyers des théâtres où ils jouent. Qu’ils se serviront de cette expérience par la suite. Ce monde va avoir tellement besoin de gens qui savent dire « nous » !