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JEUX D’INFLUENCE

Dans cette maison, nous avons tous (enfants aussi bien que parents, même ceux qui avaient autre chose à faire le jeudi soir 😉) été accros à cette série diffusée sur Arte du documentariste Jean-Xavier de Lestrade (celui-ci, autre projet passionnant, étant en train d’achever une mini-série inspirée de Laëtitia, le roman-enquête de Jablonka sur l’affaire Laëtitia Perrais).

Même son de cloche dans la cantine de mon lycée.

Claire Lansel, une journaliste politique, est engagée par une entreprise de lobbying qui travaille essentiellement pour Saskia : ce géant de l’agrochimie cherche à commercialiser un nouveau pesticide, tout en échappant au procès que tente de lui intenter un agriculteur victime d’une leucémie. Claire, au rebours de ses convictions, va devoir s’attaquer à un député intègre, qui veut faire interdire les pesticides, et à son entourage. La situation se tend encore lorsqu’un des dirigeants de Saskia est retrouvé noyé dans la Seine…

Sujet évidemment d’actualité : les turpitudes fictives de Saskia rappelant celles bien réelles de Monsanto.

C’est ce que j’ai trouvé le plus intéressant dans cette série : les mécanismes du lobbying et de l’action politique, qui m’ont paru décrits de façon crédible (j’en entends parler aussi ces derniers jours avec l’enquête de Nathaniel Rich, qui sera elle aussi, d’après ce que je comprends, adaptée à l’écran).

Il y a dans cette première saison de Jeux d’influence d’autres ficelles narratives un peu plus grosses : par exemple, la journaliste violée par le ministre (et allez hop, un peu de me-too), l’attaché parlementaire propre sur lui mais venant d’une cité révoltée en 2005 (et allez hop, un peu de crise des banlieues) etc… Les méchants sont vraiment des méchants de cinéma : les lobbyistes sont prêts à enlever et assassiner comme de vulgaires maffieux. Je me demande pourtant si l’aspect le plus inquiétant du lobbying industriel n’est sa capacité à utiliser les moyens les plus légaux pour faire pression sur les dirigeants, les milieux scientifiques et les opinions publiques, bref de détourner à son profit exclusif les mécanismes mêmes de la démocratie. Ces ficelles ajoutent évidemment de la tension dramatique, on suit les épisodes pour le suspense, mais, à mon sens, elles diluent un peu le propos, le faisant basculer dans un thriller politique plus efficace mais plus banal.

Cette réserve faite (les autres téléspectateurs autour de moi ne partageant d’ailleurs pas du tout mon avis), Jeux d’influence est une série ambitieuse et forte, qui montre que la télé française est tout à fait capable d’aborder de front l’actualité, pour peu qu’elle s’en donne les moyens. J’attends la deuxième saison avec impatience (comme la troisième de Baron Noir). Elle est bien tournée aussi (belle atmosphère grise).

Dernier atout, la qualité de l’interprétation, dominée par Alix Poisson, qui arrive parfaitement à faire saisir l’énergie et les doutes du personnage de la journaliste, et par Jean-François Sivadier, qui, en plus d’être un génial metteur en scène de théâtre, compose avec délectation les méchants les plus inquiétants des séries françaises (je me souviens encore de son regard dans Revenants).

C’est bien, beau travail, nécessaire. Allez, au boulot pour la suite, en vous efforçant de nous rendre encore plus palpitants et vivants les mécanismes même de la machine politique (comme a su si bien le faire Schöller dans Exercice de l’Etat et Pommerat, au théâtre, dans La fin de Louis) !