Archives du mot-clé Les Glaneurs et les Glaneuses

LE QUOTIDIEN

(25-31 mars 2019)

1.

Agnès Varda est morte aujourd’hui, à l’âge de 90 ans. Elle est restée l’esprit clair jusqu’au bout, tournant un documentaire (que je n’ai pas vu) il y a encore quelques mois et s’exprimant à la radio. Elle a éclairé de sa petite flamme d’artiste jusqu’à l’instant de s’éteindre et c’est beau.

Ulysse se souvient de son éblouissement, lorsque, dans sa jeunesse, il avait découvert Cléo de 5 à 7, l’audace narrative de cette déambulation d’une femme angoissée et joyeuse à travers les rues de Paris jusqu’au parc Montsouris. D’une telle spontanéité qu’il avait eu l’impression de voir ressurgir devant lui, qui ne les avait pas vécues, les années 60. Celui des films de la Nouvelle Vague qui a le moins vieilli ?

Lambda, lui, se souvient des Glaneurs et la Glaneuse. L’acuité et la noblesse de ce regard posé sur des gens qu’il n’avait jamais vraiment regardés. Une façon modeste mais subversive de faire de la politique.

Les plages d’Agnès, que le professeur Normal se réjouissait de faire découvrir à ses élèves de Lycéens au cinéma il y a quelques années. Ils avaient détesté. Choqués par le lent travelling arrière révélant le sexe en érection d’un homme nu, ennuyés par les trop nombreuses allusions à des artistes inconnus, comme Jacques Demy, Gérard Philippe, ou Jim Morrisson, rebutés par la construction erratique. Cette vieille femme était-elle un peu trop libre pour ces jeunes gens?

Une des choses que j’aimais le plus, c’était sa voix off, cette façon naturelle et haut perchée de raconter en analysant, sans être ennuyeuse. Je l’ai encore dans l’oreille. Une voix qui savait transformer le quotidien en aventure vitale. Le lendemain, les radios repassent des émissions en hommage. Je l’entends dire : « Quand je n’ai pas d’idée, je sors dans la rue. Et je tourne un documentaire. »

2.

Leurs trois enfants adultes prennent en main l’organisation du vélotrip : l’un s’occupe du calendrier, l’autre, à partir de son expérience de l’année dernière, énumère le matériel indispensable, la plus jeune s’est saisie d’un ordinateur pour prendre des notes. Ils les écoutent comme des enfants : avec admiration et confiance. Avec attendrissement aussi.

3.

Partout sur les dalles du jardin les perce-oreilles marchent accouplés deux par deux. Un symbole de la conjugalité ou un moyen spécifique de reproduction ? Il lui semble même avoir repéré un trio. Malheureusement, il devait aller bosser : il n’a pas pris le le temps de vérifier si l’amour libre et le refus des conventions sociales existaient aussi dans la nature.

4.

Il paraît que 60% des radars ont été détruits depuis le début du mouvement de protestation des Gilets Jaunes contre le racket de l’état. Et que l’un des premiers résultats tangibles de cette crise française est l’augmentation du nombre de tués sur les routes.

5.

Les branches du cerisier sont couvertes de pelotes de fleurs aussi épaisses que du coton, et si étincelantes qu’elles illuminent même dans la nuit. Cet arbre est à l’apogée de sa beauté. Mais, déjà, l’on s’aperçoit, si l’on plisse les yeux, que le moindre souffle de vent éparpille les pétales.