Mardi 3 décembre 19
Ce que le professeur Normal a appris au mois de septembre le jour de la pré-rentrée :
le résultat le plus tangible de la réforme du lycée (à part la désorganisation et le stress) est que toutes les classes de première et de seconde de son lycée sont désormais à 35-36 élèves (ce qu’on appelait il y a quelques années seulement « effectif pléthorique » et qui est désormais devenu la norme). Le lycée Nana Mouskouri où il travaille est composé pour deux tiers d’enfants issus de familles bourgeoises du centre-ville (dans le jargon technocratique CSP +) et d’un tiers issu de familles populaires de la cité des Charmants Oiseaux (CSP -). Le professeur Normal, qui est malheureusement un vieux cheval de retour, sait avant même le premier jour de classe que les principales victimes de ces effectifs pléthoriques devenus normaux seront évidemment les enfants CSP – : ils auront encore plus le droit d’aller voir ailleurs qu’en filière générale si l’on peut s’occuper d’eux.
Ce que le professeur Normal a appris hier dans la salle des profs : la baisse de la pression démographique (après le boom de l’an 2000) va entrainer une baisse du nombre de collégiens arrivant au lycée Nana Mouskouri. Le professeur Normal a imaginé une seconde que cela pourrait entraîner une baisse du nombre d’élèves par classe, ne serait-ce qu’en-dessous du seuil ex-pléthorique. Ainsi, on aurait peut-être une chance de faire quelque chose pour les gamins CSP-.Mais, bien évidemment, c’est une autre solution qui va être choisie par le rectorat de l’académie et à quoi l’on demande à l’administration du lycée de se préparer : puisqu’il y aura moins de lycéens et qu’ils peuvent désormais être 35-36 par classe, on va pouvoir supprimer une classe de 2nde et une classe de 1ière. On supprimera du même coup un certain nombre de postes de profs (ces feignants râleurs qui coûtent cher et qui ne produisent rien). Nul doute que l’on ne fasse ainsi de substantielles et bénéfiques économies sur le budget de l’Education Nationale, si l’on parvient à multiplier ces suppressions de classes et de postes à l’échelle nationale (et l’on ne voit pas sérieusement ce qui nous en empêcherait). Ce ne sera sûrement pas au profit des enfants CSP – mais ceux-là, ils commencent un peu à nous faire chier (même si, désolé, ce n’est pas du langage technocratique, on va sûrement trouver l’expression adéquate dans les mois qui viennent, on y planche déjà au ministère de la novlangue).
Ce que le professeur Normal a entendu ce matin à la radio : les résultats des tests Pisa ont placé une fois encore la France dans la moyenne des pays de l’OCDE ; ils ont confirmé que le système d’enseignement français était l’un des plus inégalitaires au monde et que les enfants des familles CSP- avaient cinq fois plus de chance que les autres d’éprouver des problèmes de compréhension d’un discours écrit. Les élèves affirmaient, ajoute la journaliste, qu’ils ne se sentaient pas assez soutenus par les enseignants et qu’ils auraient eu besoin de plus de suivi individualisé.
Et là, le professeur Normal sent monter une grande, grande colère…