LINDA VISTA

Samedi 30 novembre 19

Deuxième pièce (après Un été à Osage County) de l’Américain Tracy Letts qu’Ulysse découvre grâce au duo Pitoiset (à la mise en scène) et Loyza (à la traduction).  Comme d’habitude aux Gémeaux, un public aux cheveux très blancs pour découvrir des univers aux reflets très crus.

Trois quatre ans après, qu’a-t-il gardé d’Osage County ? L’image d’un beau décor tout en longueur représentant les différents niveaux d’un chalet de campagne et le souvenir d’un drame familial à l’américaine très prenant, entre Tennessee Williams et Woody Allen. Linda Vista (le nom d’un quartier de San Diego en Californie) est complètement différent : une sorte de monographie sur un homme blanc de cinquante ans. Il s’appelle Wheeler. Son divorce est un désastre, il n’a aucune relation avec son fils, il a abandonné la photo depuis des années pour bosser dans un magasin où il répare de vieux appareils argentiques, il est déphasé, largué, râleur.

https://www.moveonmag.com/Linda-Vista-Creation-Actuellement-au-Theatre-Bonlieu-Annecy_a1771.html

Pitoiset relie les égarements sentimentaux de ce quinquagénaire blanc à l’affaire Weinstein et au mouvement me too, pour en faire l’incarnation du mâle occidental, nécessairement veule et lâche. Peut-être. Ulysse le trouve moins négatif que ça. Parce que, sur certains points, il s’est identifié à lui (notamment pour ses relations ratées avec son fils, qu’on ne voit jamais dans la pièce, pas plus qu’Ulysse ne voit le sien dans la réalité)? Et puis Wheeler est drôle. Pathétique, lamentable, mais drôle. Ca change tout. Pas sûr que les Harvey Weinstein brillent par leur sens de l’autodérision ni par leur goût de l’échec, n’est-ce pas ?

Mise en place un peu lente, malgré les punchlines. La pièce devient passionnante lorsque Wheeler rencontre deux femmes opposées : Jules, la coach de vie hyper-positive (Ulysse déteste ce genre de personnes dans la vraie vie, mais là, il a été spontanément du côté de ce personnage, parce qu’il a trouvé la comédienne jolie (Sandrine Blancke), ce qui est assez wheelerien comme réaction) ; et Minnie, la jeune vietnamienne junkie et ignare, qui déclare d’emblée à Wheeler qu’il ferait mieux de ne pas l’aimer parce qu’elle va le rendre malheureux. Wheeler fait évidemment tous les mauvais choix possibles, sinon il ne serait pas Wheeler. Mais, prenant le risque de souffrir, il trouve aussi paradoxalement l’énergie de remettre sa vie en question. Donc, la pièce est également une sorte de parcours initiatique pour cinquantenaire adolescent.

Ecriture cinématographique. Des scènes crues et passionnantes : lorsque Wheeler fait l’amour pour la première fois avec Jules et qu’elle se caresse devant lui après qu’il ait joui, parce qu’elle a quelques problèmes avec l’orgasme. Ou lorsqu’il discute de mariage avec son pote. Une façon frontale d’aborder le sexe qui n’est pourtant jamais vulgaire. Ce qui est en jeu, c’est la possibilité de dire les relations homme/femme telles qu’elles existent, telles qu’elles sont en train de changer sous nos yeux. Et telles qu’elles demeurent : chaotiques.

Des comédiens belges comme on les aime : concrets dans leur façon d’accompagner les personnages au bout de leur dinguerie. Notamment Jan Hammenecker en Wheeler.

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Une scénographie fluide, dans les décors amovibles et les changements de costumes auxquels sont associés les régisseurs. De l’intelligence et de l’élégance. La marque Pitoiset.