LE PORT D’ANVERS(1): MALAISE DANS LE PLASTIQUE

Lundi 13 janvier 20

La visite du port d’Anvers, le plus important d’Europe et l’un des plus importants du monde, fait écho à celle du Havre, que j’ai faite l’année dernière avec un autre groupe scolaire. Nous nous baladons en car, tant ce port a les dimensions d’une ville à lui tout seul. La guide est une grosse dame anversoise, pourvue d’un sens de l’ironie assez inattendu, voire d’une certaine conscience politique. Chacune de ses remarques m’enchante et m’atterre, tant elle devient symbolique de notre modernité mondialisée.  

D’abord elle nous fait admirer le magnifique bâtiment futuriste de la Maison du Port, que l’architecte Zaha Hadid a construit au-dessus du bâtiment ancien.

Puis elle nous désigne des troncs énormes entreposés le long d’un entrepôt : ils vont être envoyés en Chine et reviendront en Europe sous la forme de cure-dents et d’allumettes. 

La compagnie Katoen Natie est liée à Total Fina. Ses 3000 silos reçoivent 40 tonnes de plastique par jour. Les petits déchets sont nettoyés au jet et rejetés directement dans l’Escaut, où la pollution est énorme. Pourtant, « il y a un malaise dans le plastique ». Les stocks sont entreposés jusque sur les parkings, tant la production dépasse la demande. Il faudrait trouver un autre débouché pour ces billes de plastique. Mais qu’est-ce qu’on pourrait bien en faire ?

30 millions de tonnes de pétrole sont raffinées dans le port d’Anvers. Elles ne sont pas déchargées par des bateaux mais livrées directement par oléoduc depuis la mer du Nord. Après transformation, on enverra directement par oléoduc le kérosène aux aéroports des environs.

Notre car erre à travers « l’Ile Chimique », où travaillent 11 000 personnes. Bayer, qui a racheté Monsanto, y fabrique notamment le Round Up. Cette île est un « cluster » : chaque usine y est reliée aux autres par des pipe-line souterrains (dont on n’aperçoit que d’inoffensifs poteaux indicateurs) pour échanger des produits. Au centre de l’île, on a laissé debout un moulin. De même, sur tout l’espace du port, il ne reste plus, des villages anciens, que les églises, qu’on n’a pas voulu détruire par un reste de superstition, et qui se recroquevillent encore absurdement entre deux entrepôts géants.

Notre guide nous parle aussi (mais je me demande s’il s’agit d’une blague flamande, tant elle développe l’anecdote sur un ton robuste et pince-sans-rire) d’un déchet que l’on transforme et que l’on donne en nourriture aux poulets : « il rend 4 milliards de poulets heureux ». Elle ajoute : « Ca les rend aussi lumineux la nuit mais on ne le dit pas. D’ailleurs, on s’en fiche, parce qu’on les envoie en Chine. ». Ces poulets, peut-être que Katoen Natie pourrait essayer de mettre un comble à leur bonheur en leur donnant à manger ses stocks de plastique ?

La PSA, Port of Singapore Authorities, a obtenu la concession des terminaux. Les grues sont automatiques et gérées à distance depuis la Maison du Port par des Singapouriens. Très peu d’Anversois y travaillent. Peut-être, dans une ou deux décennies, le port d’Anvers sera-t-il géré directement depuis Singapour ?

Notre car escalade un rond-point surélevé au milieu d’énormes semi-remorques : il a coûté extrêmement cher à construire. Encerclant un petit marais, il est percé  de plusieurs tunnels, pour permettre aux crapauds de se rassembler à la saison des amours.

Les Grimaldi se sont spécialisés dans le transport de véhicules à destination de l’Afrique : on  envoie aux Africains les véhicules d’occase trop polluants pour circuler en Europe, que l’on remplit jusqu’à ras bord de matelas et de frigos, et l’on ramène du bois.

Un coin entier du port est réservé à la banane. Les bananes des pays tiers payent taxes pleines. Les bananes des anciennes colonies (Zaïre, Rwanda) payent des taxes préférentielles. Les bananes des Antilles françaises ne payent pas de taxes : c’est normal, elles font partie de l’Europe. D’où un entrepôt spécial.

Des bateaux de police sont en train de repêcher un noyé. Des voitures des douanes sont en train d’arrêter des trafiquants.

Déjà plus d’une centaine d’éoliennes : Anvers a l’ambition de devenir un port mondialisé et écologique. On en construit plusieurs par semaine mais il faudra encore des années avant qu’elles ne subviennent aux besoins. Elles vont envahir toute la surface du port. Ce sera le vrai cauchemar : on aura réussi à rendre l’absurdité durable.