Mardi 14 janvier 20

Le musée de la Red Star Line d’Anvers, construit dans les entrepôts de l’ancienne compagnie chargée de transporter les émigrants venus de toute l’Europe vers les Etats-Unis (et notamment Elis Island à New-York ou le Canada). Alors que je n’en attendais pas grand chose, il me passionne.
Dès la première salle, on aborde l’immigration comme constante universelle de l’humanité, depuis les migrations des Sapiens vers l’Australie jusqu’aux migrants actuels qui se noient dans la Méditerranée. Mais l’intelligence de la démarche consiste à faire passer cette réflexion à partir du destin d’une dizaine de personnages emblématiques. Par exemple, le « Squelette 32 », découvert en 1989, d’une femme ayant vécu il y a à peu près 5000 ans et dont les archéologue ont réussi à reconstituer le parcours, depuis l’actuelle Bohème jusqu’au Proche Orient; ou bien Pythagore, le mythique inventeur de la philosophie et de la science grecques au Vie s. avant JC, qui, né à Samos, a voyagé dans l’Orient Perse avant de se fixer en Italie du Sud; ou encore Jamal al Din, l’astronome musulman du XIIIe siècle venu travailler à Pékin à la cour de l’empereur mongol Kubilaï Kahn.

Cette douzaine de destins exceptionnels fait rêver. Mais elle nous interroge aussi sur notre rapport actuel à ce phénomène universel de l’immigration. D’autant plus que le dernier destin retracé est celui d’un jeune Syrien fuyant douloureusement Daesh vers l’Europe, où il n’est pas particulièrement bien accueilli.

La même démarche est suivie pour nous faire revivre le périple des émigrants d’il y a un siècle qui ont emprunté les paquebots de la Red Star Line : on nous présente des destins individuels, ceux de migrants célèbres comme Einstein, ou ceux d’anonymes dont on reconstitue les origines, les rêves et le parcours. Le visiteur peut alors s’identifier fortement à eux. Ce processus d’identification donne une très grande profondeur humaine aux images collectives d’archive. Elles ne sont plus anonymes, désuètes, mais littéralement palpitantes de vie. Je me suis surpris plusieurs fois à être au bord des larmes ou à frissonner d’admiration devant la détermination de ces voyageurs forcés.

Et, pour en avoir discuté avec les élèves, j’ai constaté qu’ils avaient parfaitement saisi l’enjeu de cette démarche : faire voyager le visiteur, mais, surtout, lui faire vivre une expérience de sympathie, au sens fort du terme, dont il pourra se servir pour changer son regard sur l’actualité. Ainsi, ce musée m’a fait réfléchir sur l’immigration mais aussi sur le récit. L’incroyable puissance politique du récit.
Un haïku pour garder souvenir de ces deux journées si différentes passées dans le port d’Anvers :
Plus de Red Star Line
Plus d’émigrants ni de rêves
Des containers Maersk