Je suis 0,1%

Jeudi 23 janvier 20

Il paraît que le ministre Blanquer aurait déclaré sur France Inter que 99,9% des enseignants soutenaient sa réforme ; aussitôt le professeur Normal et tous ses collègues ont signé la pétition : « Je suis 0,1% ».

Dans la salle des profs, il lui semble que c’est au contraire l’hostilité à la réforme qui n’est pas loin d’atteindre les 99,9 % et que la moindre déclaration supposée du ministre est maintenant perçue comme une provocation.

Car, en moins de trois semaines, on a commencé à découvrir de façon concrète les effets de l’usine à gaz mise au point par son armée de technocrates : rien qu’au lycée Francis Lalanne, des classes surchargées, trois postes supprimés l’année prochaine, des dédoublements réduits à 1 heure tous les 15 jours, des options culturelles qui passent à la trappe de la « pompe à phynance ». Le « lycée de la confiance » : une usine à gaz redoutablement efficace pour brasser du vent et réduire les moyens. Et ceci alors même que les jeunes collègues découvrent que leurs retraites vont en prendre un sacré coup. En trente ans de carrière, Normal a rarement vu un tel sentiment de détestation. Et si c’était la machine tout entière qui risquait d’exploser ?

En réalité, le ministre a seulement déclaré que 99,9% des profs étaient d’accord pour ne pas perturber les épreuves. Or, même cette idée (qui tenait de l’évidence encore l’année dernière) s’apparente désormais à de la désinformation. Le lycée Francis Lalanne (qui est pourtant d’ordinaire très calme) est occupé ce soir (mais uniquement de 18h à 22h, et en concertation, on ne se refait pas).

Ce jeune collègue s’amuse à lever le poing mais c’est un enragé très modéré, n’en déplaise à M.Beignier et consorts : remarquez que, dans sa main droite, il tient non pas un pavé mais… une pelote de ficelle! 🙂

Lors de la consultation interne, presque un tiers des collègues se sont déclarés prêts à boycotter les épreuves ou les surveillances des E3C. Les plus engagés ont dû se calmer : un tiers, en démocratie, c’est loin de la majorité. Mais, s’est dit Normal, qui est un vieux de la vieille, un tiers de profs légalistes qui se disent prêts à perturber une épreuve du bac, c’est quand même un résultat remarquable, que l’équipe Blanquer a réussi à obtenir avec sa subtilité habituelle dans le dialogue social. Les recteurs ont beau envoyer des courriers comminatoires pour menacer des pires sanctions la poignée d’agitateurs, on sent la colère monter même dans les rangs dociles de la majorité la plus silencieuse.

Normal n’a jamais rien attendu de ce gouvernement libéral mais ceux qui l’ont incité à voter Macron au second tour jurent qu’on ne les y prendrait plus. Et les jeunes collègues les plus remontés envisagent froidement, en cas de nouveau duel avec « l’autre », de ne pas s’abstenir mais carrément de voter « l’autre ». Quand dans une salle de profs on n’envisage plus comme solution que l’extrême droite, il y a du souci à se faire, monsieur Blanquer, et il serait sans doute judicieux de ne pas plastronner. En politique, il faut se garder d’agiter des chiffons rouges, ils provoquent parfois de terribles colères noires…