Mercredi 18 mars 20
Fidèles aux consignes de notre président, nous menons la guerre contre l’ennemi invisible avec discipline. Nous ne sortons en vélo que pour la corvée de ravitaillement.
M. B., notre voisin, est fantassin : il promène son chien. Je lui demande en plaisantant s’il a son attestation réglementaire, il me la sort aussi sec de sa poche. « J’ai écrit : Déplacements brefs d’un monsieur solitaire lié aux besoins de son vieux clebs. Je suis en règle? ».
Dans le minuscule Day by Day, on ne peut pas rentrer à plus de cinq et et un seul par famille. Pendant que je me couvre de farine des pieds à la tête, elles restent à bavarder au soleil sur le trottoir. J’ai encore de vieux réflexes, j’essaie de faire le plus vite possible, mais elles ne trouvent pas ce moment d’attente désagréable. Rien que sortir et perdre son temps dans la rue est un moment précieux maintenant.

A l’entrée du marché, deux policiers municipaux sont mobilisés pour ne laisser entrer les clients qu’au compte-goutte. Ils s’ennuient ferme. Les marchands aussi à l’intérieur. Impression étonnante de vide dans cet endroit toujours plein.
La petite marchande de champignons envisage de fermer son étal à la fin de la semaine : ce matin, à Rungis, sa fille a vu des hommes se bousculer pour de la marchandise et elle a eu peur qu’ils ne sortent des couteaux. Le volailleux confirme : ils sont douze mille à bosser dans le MIN, il n’y a aucun masque, aucuns gants, aucune hygiène, les gens commencent à vraiment se chauffer pour retirer leurs commandes. Et, pour finir, les clients ne sont pas au rendez-vous. Il va falloir arrêter les frais. Il envisage de se reconvertir dans le PQ : il en achètera des rouleaux triple épaisseur et il les revendra en épaisseur simple sur « Le bon coin ».
Un colosse black fait son footing en ahanant derrière un masque à coque dure et à liseré bleu. Il a l’air de tellement en baver qu’il risque de mourir d’un arrêt cardiaque plutôt que du COVID 19.

Douceur du soleil : les arbres commencent à porter des fleurs et les oiseaux se remettent à chanter. C’est bizarre d’entrer en confinement alors que la nature partout autour sort du sien.

Le soir, à 20h, nous entendons au loin des gens qui applaudissent les soignants (même s’il n’y a pas d’hôpital dans les environs). Peut-être que c’est aussi pour montrer que nous restons vivants et que nous pouvons faire quelque chose dans cette guerre, même si c’est presque rien ?
Ah oui, peut-être que nous pourrons faire autre chose, quand elle sera finie : élire des gouvernants qui ne laissent pas crever l’hôpital public, comme un vieux monsieur jugé inutile, de cette autre pandémie qu’est le néolibéralisme ? On les applaudira moins, les soignants, on les paiera plus, ils auront des masques et du temps à consacrer à chacun de leurs patients. On tirera, comme disait notre président, « toutes les conséquences, oui, toutes les conséquences » de ce qui est en train de se passer mais nous, on saura ce qu’on veut dire.