Dimanche 26 avril 20
Le citoyen Lambda a fait un Skype tout à l’heure avec ses copains, à l’heure de l’apéro. Il a attaqué bille en tête le professeur Normal :
« Toi qui as foi, comme moi, dans les déclarations de notre président, tu croyais avoir compris que le gouvernement Macron s’appuyait pour prendre des décisions raisonnées sur l’avis du conseil scientifique ?
– Ce n’est pas ça ?
– Pauvre naïf ! Quand les véritables intérêts sont en jeu, les intérêts économiques, ce n’est pas du tout comme ça que ça se passe. Le pataquès actuel sur la réouverture de tes écoles en est un exemple magnifique. En lisant le Monde ce soir, on commence à comprendre un peu comment tout ça s’est passé. Je t’assure, c’est amusant d’essayer de lire entre les lignes et de reconstituer la chronologie. Tu me suis ?
– Vas-y, lui répond Normal, un peu méfiant.
– Alors épisode 1. Le 13 avril le Président E. Macron décide, sans consulter personne (à part peut-être le ministre Blanquer) de rouvrir les écoles le 11 mai.
Episode 2. Le16 avril, le conseil scientifique émet un avis négatif sur cette réouverture des écoles. Ces irresponsables de scientifiques préconisent explicitement, contre l’avis du président, de « maintenir les crèches, les écoles, les collèges, les lycées et les universités fermés jusqu’au mois de septembre » (p16). Curieusement cet avis n’est envoyé au gouvernement que le 20 avril.
– C’est étonnant, ça ?
– Bah enfin, pourquoi ce retard de 4 jours sur un sujet aussi essentiel et où l’avis des scientifiques était attendu par tout le monde ? Tu crois que c’est faire du mauvais esprit que d’imaginer les pressions en tout genre que ces chameaux butés ont dû subir pendant quatre jours pour changer de direction ? Comme ils ne cèdent pas, encore plus curieusement, leur premier avis, personne ne va en entendre parler pendant plusieurs jours.
– C’est à dire ?
– Il n’est tout simplement pas publié comme les autres sur le site du ministère de la solidarité et de la santé. Mais attends, j’aime encore plus la suite.
Episode 3. Le 21 avril, en l’absence d’un avis du conseil scientifique (tu parles), ton ministre de l’Ed Nat dévoile les premières modalités de réouverture des écoles, échelonnée sur 3 semaines. JM Blanquer a dû aller chercher pour cela (chapeau à ses conseillers) un avis de l’Académie des sciences… allemande ! Mais oui, notre puissante voisine maîtrise tellement mieux que nous cette pandémie, qu’elle peut nous prêter non seulement quelques uns de ses respirateurs mais aussi son Académie. Les esprits chagrins remarqueront peut-être que cette Académie fournit un protocole valable pour les écoles d’un pays où la pandémie est « sous contrôle », ce qui ne paraît pas être tout à fait le cas du nôtre. Mais notre ministre de l’Education, toujours aussi volontariste, n’est pas à cette contradiction près quand il s’agit de fayoter, je veux dire d’appuyer la volonté présidentielle de réduire les inégalités sociales.
Episode 4. Le 24 avril, le conseil scientifique français, prenant acte de la décision politique (non seulement celle de rouvrir les écoles mais aussi celle de ne pas publier son avis précédent?), finalise un deuxième avis dans lequel il énumère toutes les recommandations sanitaires à prendre en compte en cas de réouverture des écoles.
Episode 5. Curieusement, dès le lendemain, samedi 25 avril, ce deuxième avis est publié, en même temps que le premier du 16-20.
– En même temps ?
– C’est bizarre, non ? Le premier avis, contraire à la décision du pouvoir, a mis neuf jours en tout à être connu du public, et le deuxième, plus politiquement correct, un jour seulement (il est publié un samedi soir à 22h, tu imagines s’ils étaient contents de l’avoir). Ce deuxième avis du 24 énumère une telle liste de recommandations que même les chefs d’établissement se demandent comment ils vont pouvoir les respecter. L’un de leurs représentants, Philippe Vincent (secrétaire général du syndicat des chefs d’établissement SNPDEN), s’inquiète : Une par une, appliquer chaque préconisation est déjà très compliqué. Les appliquer toutes, c’est infaisable dans la vraie vie ! ».
– Oui, chef d’établissement, ce n’est pas la grande éclate, actuellement, je pense.
– Mais non, tu exagères, ce n’est pas si grave, car
Episode 6 ! Dès le samedi soir à 21h53, le ministre Blanquer, toujours sur les startings blocks, se félicite de la publication de cet avis du conseil, y célébrant, avec la syntaxe limpide qu’il est capable de faire cascader dans un simple tweet, « la base pour l’élaboration du protocole sanitaire annoncé pour donner un cadre sûr au déconfinement scolaire ».
Le professeur Normal pousse un grand soupir. Mais le citoyen Lamda ne le lâche pas : « Si, excuse-moi, ça vaut le coup de lire cet article du Monde avec attention pour reconstituer la chronologie des faits. C’est presque un exercice jubilatoire !
– Ah, tu trouves ?
– Mais c’est tellement édifiant sur le véritable fonctionnement du pouvoir français. Sur sa véritable façon (loin de sa langue de bois) de traiter les citoyens… et les scientifiques.
– Bon, conclut le professeur Normal, en repensant à ses 3 heures 35 de réunion virtuelle de jeudi dernier pour tenter d’organiser la reprise, je vais me coucher !
– Quoi, tu ne finis pas ton Spritz ?
– Non, ça m’énerve trop !…