MES PETITS THEATREUX CONFINES

Mardi 30 juin 20

Lorsqu’au mois de Septembre, Denis et moi nous avions proposé aux élèves de l’option théâtre de travailler sur le thème de la catastrophe, nous ne savions pas à quel point les évènements allaient nous donner raison. Nous étions en train de préparer notre montage de textes lorsque le confinement est venu tout interrompre. Les élèves ont été super contents de ne plus aller au lycée et en même temps tristes d’être privés de la possibilité de monter en fin d’année sur le haut plateau du Théâtre 71.

Nous nous sommes dits qu’il fallait leur proposer quelque chose d’autre pour continuer à être créatifs tous ensemble alors que nous étions enfermés chacun de notre côté. Nous leur avons proposé de tourner des petites pastilles vidéo pour mettre en jeu (au sens fort du terme) cette expérience contraignante.

Inégal, certes, mais souvent inventif. Et surtout expérience passionnante, qui a permis au groupe de continuer à exister (et à leur prof de ne pas sauter par la fenêtre devant le vide de la relation pédagogique qu’ouvraient les autres classes virtuelles!).

Pour motiver ces ados en roue libre, j’ai dû actionner le levier de l’évaluation. Chaque vidéo validée par le groupe permettait d’obtenir un certain nombre de points et de parvenir à la fin au graal du 20. Ce qui m’a intéressé là-dedans, en tant que prof, c’est que la note ne tombait plus d’en haut mais que les élèves se la fabriquaient au fur et à mesure. L’émulation devenait amusante et productrice.

Enfin (et surtout) certains ont effectué un vrai parcours. Je pense à l’un d’entre eux que j’ai aussi en français, jeune homme intelligent mais paresseux. Il a fait preuve dans ses premières vidéos de sa maîtrise technique du montage mais se montrait peu dans le jeu. Alors Denis lui a lancé le défi d’une proposition sans aucun montage, très dépouillée, où il jouerait l’émotion authentique d’un personnage. Il a relevé le défi. Ses propositions suivantes se sont efforcées d’allier les trois, la maîtrise technique, l’investissement dans le jeu, et un propos plus généreux. Ce qui m’a frappé aussi, c’est que ce dilettante s’est mis à travailler ses films avec passion, presque acharnement. Il me dit aujourd’hui qu’il a l’impression d’avoir trouvé sa voie. Je ne sais pas si c’est vrai, évidemment, mais je suis sûr que ce qu’il vient d’expérimenter là sur lui-même lui servira par la suite. Cette expérience prouve à mes yeux la valeur absolue des enseignements artistiques.

Ils sont de plus en plus menacés alors qu’ils sont toujours aussi radicalement nécessaires. Au moment où je tire ce bilan des trois mois de confinement créatif de cette option, j’apprends la réduction par deux (merci la DRAC Ile de France !) des séances que le comédien pourra y assurer l’année prochaine  ! Dans ma colère, je me demande même s’il n’y a pas un rapport de cause à effet : la crise sanitaire nous a montré que, dans nos sociétés, plus un métier est utile, moins il est payé. Et si c’était la même chose dans notre système éducatif ? Plus un enseignement est vital, plus il est considéré comme gratuit. Plus on se gargarise de la culture en haut lieu et à tous les échelons des ministères, moins on offre aux jeunes la possibilité concrète et approfondie de la pratiquer ?