Le Bûcheron avait la banane ce dimanche soir.

Il a suivi avec plus d’intérêt qu’il ne le pensait les JO sans public de Tokyo. Il s’est évidemment très peu intéressé à l’athlétisme, malgré la pluie de records dus, paraît-il, à des chaussures à coussin d’air révolutionnaires plus encore qu’aux traditionnels anabolisants. Cette année, c’étaient les chaussures, et pas les athlètes, qui étaient dopés.
Mais, en bon chauvin, il a gravement kiffé la victoire par équipe mixte des judokas français face aux Japonais dans le temple du Budokan.
Puis il s’est passionné pour la série historique des cinq équipes de sport co, Basket-Hand-Volley, qui ont fini par gagner trois médailles d’or, une d’argent et une de bronze, toutes plus improbables les unes que les autres au début du tournoi. Ce fin pronostiqueur les voyait ramener grand max une ou deux breloques de bronze à exposer dans les vitrines du BHV hexagonal. Il se souvenait que l’équipe de hand masculine avait été éliminée piteusement de l’Euro l’année dernière, que les basketeurs devaient se coltiner les USA dès le premier match, que les trois équipes de basket féminin, hand féminin et volley masculin étaient quasiment éliminées après les premiers matches du tour préliminaire. Mais ces cinq équipes de « Survivants », pour reprendre le mot de l’entraîneur du volley, ont toutes su se dépasser. D’où pour le supporter de base une fin de semaine d’autant plus euphorique qu’inattendue.
Le Bûcheron, qui n’y croyait pas, maintenant il se rengorge, il se rassure : « Nous brillons autant dans les disciplines par équipe que nous avons été médiocres dans les épreuves individuelles. Toujours frappant de constater que les Français, qui aiment à se décrire eux-mêmes comme un peuple d’individualistes râleurs, produisent des équipes de sport co aussi capables de se transcender dans les difficultés ! ».
Le Citoyen Lambda, lui, reste les pieds sur terre. Et sur terre, il ne voit pas grande raison de s’enthousiasmer, ni dans l’hexagone ni au-delà : « Cette vérité française du sport, la capacité à se dépasser en équipe, ne se retrouve pas dans la politique, c’est le moins qu’on puisse dire. Ce que révèle le quatrième acte de cette interminable crise du Covid, n’est-ce pas au contraire la difficulté que nous éprouvons à nous retrouver tous ensemble, à nous donner un objectif commun et à nous dépasser, même quand notre intérêt collectif est en jeu ? Pourtant, vu le dernier rapport du GIEC, nous n’en sommes peut-être qu’au tour préliminaire des jeux de la survie. Et puis vraiment, se passionner pour les jeux olympiques alors que le pays qui les a vu naître est en train de cramer à nos portes dans la pire sécheresse qu’il ait jamais connue, tu trouves que c’est se préoccuper des choses essentielles ?
-Boâin, ça dit des choses importantes sur notre pays quand même !
-Ah vraiment ? ».
Lambda smatche le Bûcheron pour le gain du match : « Crois-moi, cette vérité de résilience des sports collectifs français à Tokyo, elle est aussi illusoire que le Black Blanc Beur des Bleus de la Coupe du Monde 98, qui n’a pas résolu les problèmes de l’intégration à la française, n’est-ce pas, comme l’ont montré les attentats de la décennie suivante. Le sport de haut niveau ne dit pas la vérité profonde d’une société, il n’en propose qu’une image, brillante parfois mais toujours illusoire. »
-OK, lui concède le Bûcheron, qui reste bêtement aux anges. Mais celle que nous renvoient ces cinq équipes, leurs sourires métissés et leur commun instinct de survie, moi, qu’est-ce que tu veux, elle me réjouit l’âme. Dans un été maussade, un WE au-dessus des nuages : je prends ! ».