MIRACULEUSE ANNETTE

Dimanche 11 juillet 21

Des plans de fou, à la Carax. Des séquences virtuoses, qui ne sont pas gratuites (ce que l’on pouvait jusque là lui reprocher) mais qui servent l’histoire. Les deux plans séquences shakespeariens du prologue et de l’épilogue. Les envolées à moto. La tempête. La séquence où la soprano s’égare dans la forêt. Le récit par le comique du meurtre de sa femme (le moyen qu’il invente fait qu’on se tient en équilibre sur le fil entre le tragique et le grotesque). Le duo final entre le père et la fille, si implacable. Evidemment le jeu sur la représentation de l’enfant (je n’en dis pas plus).

Rien que de repenser à ce film ma bouche s’arrondit de stupeur.

Le film est servi par des comédiens prodigieux : Adam Driver, impressionnant dans le déséquilibre, pour jouer l’homme qui prend le risque de « regarder en bas dans l’abysse ». Marion Cotillard, sublime comme une actrice de cinéma muet. Carax déclare qu’il ne voit plus beaucoup de film mais il se dégage de celui-là un tel amour du cinéma ! A l’époque de Mauvais Sang, le cinéaste encore jeune, voulant montrer qu’il était bien le génie qu’on voyait en lui, tenait à toute force à déconstruire son histoire et à révolutionner le genre du thriller au détriment de ses personnages. Aujourd’hui il se contente de la raconter, en faisant exploser la comédie musicale de l’intérieur à tel point il croit à ses personnages. Il me paraît aller bien au-delà de l’exercice de style : en plein dans la maturité.

La maturité pour un artiste : croire avec des yeux d’adulte aux histoires d’enfant qu’il se raconte ? Et le contraire aussi : croire avec des yeux d’enfant aux histoires d’adulte qu’il se raconte ? En tout cas, ne pas se vouloir trop intelligent ?

Les Sparks : jamais entendu parler de ces musiciens-là (qui ont pourtant trente ans de carrière et sont à l’origine du projet). Mais je n’arrive pas à m’enlever la chanson titre de la tête :

« We love each other so much,
It’s hard to explain it,
It’s hard to explain. »

J’aimerais intégrer ce film à « La Ruche », comme j’ai intégré Mauvais Sang au « Sombre Génie ». Ce serait un autre moyen de boucler la boucle de mon roman.