LA POSTFACE DE LA SERVANTE ECARLATE

Samedi 4 septembre 21

Margaret Atwood y parle de son journal qu’elle tient régulièrement. En relisant la période concernant l’écriture et la publication de son roman, elle constate avec humour qu’elle y trouve des « pleurnicheries » habituelles d’écrivain épuisé par le labeur mais aucune réflexion sur la structure ou les intentions du chef d’oeuvre qu’elle est en train de créer. Elle n’a pas besoin de s’interroger sur ce qu’elle écrit tant elle est sûre d’elle-même.

Mais, quelques pages plus loin, elle évoque les trois choses qui l’ont longtemps intéressées et « qui se sont assemblées durant l’écriture de ce livre ». Je suis frappé par cette phrase : ces intérêts esthétiques, politiques, sociaux, ils s’assemblent d’eux-mêmes, sans peut-être que l’autrice en soit tout à fait consciente, dans le processus d’engendrement du texte qui lui paraît pourtant si évident qu’elle ne l’interroge pas sur le moment.

Le premier de ces trois centres d’intérêt est évidemment la littérature dystopique, qui a commencé à la passionner dès son adolescence, au moment où elle découvrait 1984, Le Meilleur des Mondes et Fahrenheit 451, et qui a continué à l’intéresser quand elle préparait son doctorat. Elle note  qu’à partir du moment où une forme littéraire a assez capté votre attention de lecteur, vous commencez toujours, même sans le savoir, à nourrir l’envie d’en écrire une version. Cette passion ancienne de lectrice pour la dystopie, née dès les années 50 et nourrie tout au long des années 60, ne ressurgit dans un projet d’écriture qu’au début des années 80. Intéressant phénomène d’incubation littéraire.

Sa deuxième curiosité allait aux études sur les XVIIe et XVIIIe siècles américains, le régime puritain de la Nouvelle Angleterre et son mépris des femmes. Cet intérêt intellectuel, elle lui donne également une dimension personnelle, beaucoup de ses ancêtre ayant vécu « à ces époques et dans cet endroit ». Des femmes opprimées, des hommes oppresseurs, des puritains convaincus, de simples anonymes sans véritables convictions ? En tout cas, des gens auxquels elle se sent reliée directement.

Le troisième aspect, c’est sa fascination pour les dictatures et leur mode de fonctionnement. Autre curiosité historique mais qu’elle relie de même à son destin personnel, ajoutant que cette « fascination » n’est pas inhabituelle chez une personne née en 1939, trois mois après le déclenchement de la seconde guerre mondiale.

Des curiosités intellectuelles, dont elle découvre que, pour être fécondes, elles doivent avoir aussi une résonance intime, et un long processus en partie inconscient de transmutation de la lecture à l’écriture : dans son analyse simple et profonde du mécanisme créatif, je retrouve quelque chose de sa façon de raconter l’histoire d’Offred et de Galaad. C’est par l’intime qu’elle atteint à l’universel, parvenant à faire ressentir concrètement la pesanteur du totalitarisme, en suivant simplement le point de vue de son personnage (on n’aurait presque pas eu besoin de la « conférence » finale), en restant au plus près de ses sensations et de ses souvenirs, même et surtout celles qui ne concernent pas directement le totalitarisme.